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Dracon ou mieux Philibert eût bien, sans la protection la plus haute, c’est-à-dire celle du Roi lui-même, pu suivre la femme du marchand chez le questionnaire. C’est à ce moment que Descôteaux, qui savait son ami innocent de toute complicité avec Mme Brunet, intervint pour aider Philibert à sortir d’embarras et le soutenir aux yeux du public. La fidélité et l’affection dont le musicien ami des fleurs témoigna dans cette aventure se montrèrent si chaleureuses que nombre de personnes qui avaient eu occasion d’applaudir déjà, l’un à côté de l’autre, le Tircis et le Céladon qu’étaient les flûtistes, en demeurèrent dans l’admiration.

Tantôt au Luxembourg, chez M. le duc et devant Mme la duchesse qui n’était autre que la gaie et badine Mlle de Nantes, tantôt à Saint-Maur aussi chez M. le duc, à Sceaux chez le duc du Maine, il n’y avait pas de divertissements, d’opéras avec machineries, de comédies avec des airs où Descôteaux ne prit part. Quand c’était au Luxembourg (et c’est ainsi que La Bruyère l’avait vu ! ) notre flûtiste se montrait dans le costume d’un berger du Poitou ; mais, quand il allait à Chantilly se mêler avec les hautbois et les musettes qui jouaient devant Monseigneur, il était au nombre de ces musiciens « couronnés de chêne » dont Donneau de Vizé a parlé et dont il a dit, à propos du spectacle qu’ils avaient offert, que c’était Pécourt qui avait conduit leur ballet, M. de Lully le cadet qui avait composé les airs qu’ils avaient chantés, enfin Bérain, dessinateur ordinaire du cabinet du Roi, qui avait esquissé et cousu leurs habits.

La Bruyère, homme de goût, sensible aux belles choses et qui n’en avait jamais fini de vanter, dans les spectacles de Chantilly, les surprises de « la chasse sur l’eau, l’enchantement de la Table, la merveille du Labyrinthe, » ne se doutait pas, en écoutant Descôteaux jouer avec langueur du flageolet au bord du Canal, devant les poissons de M. le Prince, qu’il n’en avait plus que pour peu de saisons à écouter au crépuscule et sous un ciel pur ces airs délicats. Encore huit printemps, et le duc de Saint-Simon pourra en effet écrire (en 1696) que « le public perdit un homme illustre par son esprit, par son style et par la connaissance des hommes, je veux dire La Bruyère qui mourut à Versailles après avoir surpassé Théophraste, en travaillant d’après lui, et avoir peint les