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Philémon, les deux vieillards aimés des dieux dont le Bonhomme en des vers si beaux, avait chanté l’idylle.

Vieillard, Descôteaux, avec les années, l’était devenu lui-même. Au temps où l’avocat Mathieu Marais le retrouva logé au palais du Luxembourg, toujours occupé de ses tulipes et de sa flûte douce, vingt ans s’étaient écoulés déjà depuis le jour fameux du concert donné par M. de Malézieu à Mme du Maine Maintenant, le bonhomme Descôteaux était tout ridé, et, bien qu’il chantât encore en s’accompagnant, devant Mathieu Marais, des paroles de Verger, sa voix était devenue chevrotante. « Il a encore, écrit son auditeur, stupéfait de retrouver sous la Régence ce personnage de La Bruyère, il a encore au suprême degré le goût des fleurs, et c’est un des grands fleuristes de l’Europe. Il est logé au Luxembourg où on lui a donné un petit jardin qu’il cultive lui-même. »

Cette coutume de loger au Luxembourg toutes sortes de personnes dignes d’être honorées par leur nom ou par leur mérite, mais à qui la fortune n’avait pas souri, demeura longtemps l’apanage de cette grande maison. Dans ce quartier docte, ombreux, charmant, qu’aimèrent toujours les sages et les philosophes, La Bruyère, « Montaigne mitigé, » comme devait l’appeler un jour le même Mathieu Marais, avait habité lui aussi. C’était à l’époque où, devenu l’hôte du prince de Condé, il demeurait près des Fossés-Monsieur-le-Prince ; et comme, en ce temps de sa vie, ce quartier-là était plein de ses amis, qu’il n’avait que deux pas à faire d’un côté pour aller retrouver son protecteur Pontchartrain rue de Vaugirard, du côté des Carmes, et, — du côté du Chartreux, — que deux pas dans un autre sens pour gagner la rue Saint-Jacques où demeurait Michallet le libraire, on imagine le plaisir, si la mort n’était pas venue prématurément le frapper, que l’auteur des Caractères eût éprouvé à retrouver, dans ce milieu qui lui fut longtemps cher, le flûtiste Descôteaux.

Mathieu Marais, qui précise à ce passage que c’est bien le joueur de flûte que La Bruyère a eu le dessein de peindre dans le curieux de tulipes[1], écrit, — à l’endroit de son Journal relatif au musette et hautbois de la chambre du Roi, — que celui-ci ne se contentait pas d’être musicien et

  1. « La Bruyère, dit Mathieu Marais, ne l’a pas oublié dans ses Caractères, sur cette curiosité outrée de ses tulipes qu’il baptise du nom qu’il lui plaît. »