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le nu soit une beauté ; » les indigènes africains trouvent le nu obscène et matière à plaisanterie : une femme nue est, à leurs yeux, une pauvresse ou une esclave de guerre. Alors, qu’est-ce que sera cette allégorie de la France très civilisatrice, pour un Peuhl ou un Bambara ? Ce sera « Barnavaux qui a fait captifs beaucoup bon, après avoir cassé village. » Et telle n’était l’intention généreuse ni de l’artiste, ni du gouvernement de la métropole. Le monument sera-t-il en marbre ? Ni le Bambara ni le Peuhl n’admettront que la négresse soit blanche. En bronze ? Ils n’admettront pas que le blanc ne soit pas blanc. Barnavaux raconte qu’à Saint-Louis du Sénégal on a dressé sur la grand’place une statue en bronze de Faidherbe et que les soldats sénégalais la comprennent ainsi : le colonel Faidherbe était un noir, et qui a fait la guerre aux blancs ; il a cassé les blancs et, vous le voyez l’épée à la main, il menace la maison du gouverneur. Et Barnavaux, qui regarde le monument de la civilisation française brinqueballer sur les pavés du boulevard, conclut avec simplicité : « Si ça se casse avant d’arriver, ce ne sera pas un mal pour les colonies ! »

Bref, nos meilleurs gouvernements connaissent mal les colonies, ou bien ne les connaissent pas du tout. Et l’on commet mille bévues, faute de savoir. On ne sait pas, on ne sait rien. De telles erreurs suffisent à fausser toute l’administration coloniale, à saboter (pour ainsi dire) tout l’immense effort, coûteux, et qui serait facilement si fécond, de la France aux pays noirs ou jaunes. Barnavaux ne l’envoie pas dire à de gros personnages très ignorants et qui ont souvent de bonnes intentions.

Qui est Barnavaux ? « C’est un homme que j’aime ! Je l’ai trouvé pour la première fois sur ma route, et sur le sentier de la guerre, à Madagascar. Je l’ai revu au Soudan, puis en Crète, puis à Pho Ban, plus loin que tous les diables de la Chine, sur la frontière du Tonkin. Et si vous saviez comme.il est l’erré sur le Savoir-vivre ! Sommes-nous sans témoins : il cause avec moi comme un égal. Y a-t-il du monde : il me traite en supérieur. Et quand il est tout seul, il me méprise profondément pour toutes les choses que j’ignore et où il est maître : voler des poules, acheter du riz à la foire d’empoigne, construire une case en bambous, briques, pierres ou boîtes de sardines vides, faire- ami avec les Sénégalais, qui sont les plus braves soldats de la terre, et pourtant taper sur les nègres, fabriquer des sous-ventrières de selle avec des mèches de lampes a pétrole, monter à cheval, mais préférer le palanquin, administrer des provinces, — ça consiste à faire rentrer l’impôt, dit-il simplement, — tremper