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un secret qu’elle a emporté. » L’hagiographe de Marie-faite-en-fer se ferait scrupule d’ajouter à la vérité nul ornement et refuse d’ « altérer par aucun mensonge une histoire si simple, où l’on rougirait de mettre de l’art et des mots qui ne seraient pas tous vrais. » Dans le recueil intitulé Sur la vaste terre, il raconte une histoire de Chinois qu’on avait embauchés pour construire un chemin de fer au Congo et qui ont pris la fuite et qui, espérant trouver au bout de leur course africaine la Chine, se sont enfin perdus : « Il ne faut pas dire comment ils moururent, il ne faut pas écrire pour écrire. Ils sont morts, n’est-ce pas ? et voilà tout et ils allaient vers le soleil ! » C’est une histoire vraie, que M. Pierre Mille a connue quand il voyageait dans le Congo belge : il l’a ensuite présentée sous la forme d’un conte ; mais il a un grand soin de ne pas la dénaturer. Plus que jamais il est content, s’il peut écrire : « Il n’y a rien dans ce qu’on va lire, que l’expression d’une chose vue, d’une chose nue. Aucune fiction, aucune péripétie : la réalité insensible et cruelle. » À cause de ce grand amour qu’il a pour la plus simple vérité, il juge sévèrement une certaine poésie et le romantisme. À propos de Louise qui sera bientôt la maîtresse de Barnavaux et qui ajourne l’échéance, il note que, l’on a beau dire, nulle femme ni même un homme ne tombe à n’être exactement qu’un animal : « Nous le saurions mieux, si nous n’étions gâtés par cent ans de littérature anti-humaine. » Et, à propos d’un petit garçon qu’il mène au bord de la mer et qu’il s’attend qui soit bien étonné devant cette infinité bleue, il note : « Cent ans de littérature romantique nous ont fait l’esprit assez faux… » Mais, le petit garçon qui n’est pas étonné remarque seulement que cette eau est une rivière qui n’a qu’un bord. Et voilà démenties les farces du lyrisme accoutumé.

Au romantisme, — et l’on n’est pas juste pour le romantisme, en ce moment : ce n’est qu’un moment à passer, — M. Pierre Mille préfère la vérité. Il sait, d’ailleurs, ce qu’a son goût d’un peu bizarre et de paradoxal. Il a écrit, dans le Monarque, où l’on voit d’aimables méridionaux jouer gentiment avec le mensonge : « L’amour de ce qui n’est pas, seule joie de ce misérable univers !… » Il a constaté que les enfants, les nègres et les poètes, — les autres personnes aussi, — ne font aucune différence digne d’être examinée entre un simulacre et la réalité. Car, dit-il autre part, « tout, chez nous, vient des mots ; » et les mots sont les simulacres des idées ; et les idées sont les simulacres des choses : et nous sommes séparés des choses par le double simulacre des idées et des mots. Que faire ?…

M. Pierre Mille est-il un réaliste ? Oui ; en quelque sorte ! Mais un