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Dans le voisinage de mes héros, Homère, Pindare, Théocrite vivaient pour moi d’une vie nouvelle, plus profonde, plus splendide, et en même temps plus humaine. Je retrouvais dans leurs personnages, hommes de guerre ou bergers, quelque chose de l’âme des miens. Ces chantres des marins, des conducteurs de chars, des pugilistes, des bouviers et des paires de Sicile, mettaient un rayon de poésie au front de mes pêcheurs, de mes routiers et de mes chevriers africains. Et cette allégresse de la lutte et du dur labeur, cette joie de vivre que je respirais au milieu d’un peuple neuf, dans un jeune monde naissant, n’était-ce pas un peu l’atmosphère de jeunesse héroïque où s’épanouirent les joueurs de cithare, les constructeurs des grandes épopées et des grandes odes mythologiques que l’on chantait sans les lauriers de Delphes et sous les platanes d’Olympie ? Les vers des vieux poètes hellènes me confirmaient la leçon d’énergie virile et de confiance dans la vie que les routiers du Sud me scandaient aux claquements de leurs fouets. En ces temps où l’avenir était barré, où les ennemis de la France la disaient moribonde, cette ardente Afrique dont je courais les routes m’apportait comme un lointain pressentiment de la victime. Je pensais déjà ce que je n’ai pas cessé de crier depuis : que la France fatiguée par des siècles de civilisation pouvait se rajeunir au contact de cette apparente et vigoureuse barbarie…


Enfin, à travers le Méditerranéen d’aujourd’hui, je reconnus le Latin de tous les temps. L’Afrique latine perdait, pour moi, le trompe-l’œil du décor islamique moderne. Elle ressuscitait dans les nécropoles païennes et les catacombes chrétiennes, les ruines des colonies et des municipes dont Rome avait jalonné son sol, de Volubilis à Gigthi, de la mer Atlantide aux plages désolées des Syrtes. Et voici qu’elle s’offrait à mes yeux sous un nouvel aspect. L’Afrique des arcs de triomphe et des basiliques, l’Afrique d’Apulée et de saint Augustin surgissait devant moi.

C’est la vraie. L’Afrique du Nord, pays sans unité ethnique, pays de passage et de migrations perpétuelles, est destinée par sa position géographique à subir l’influence ou l’autorité de