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est certainement le plus parfait échantillon. Le cheval au col de cygne qui encense et qui piaffe, le cavalier en pantalon collant, à la taille de guêpe, au collier de barbe à la Musset, l’épée tendue dans un geste un peu théâtral, tout ce groupe de bronzes enlevant dans l’air bleu, et, par derrière, la mosquée de la Pêcherie avec ses murs dentelés, les gros œufs blancs de ses koubas, la lanterne aux faïences coloriées de son minaret, — quel beau fond de tableau pour la Galerie des Batailles, et aussi quel beau sujet de pendule dans le plus pur style Louis-Philippe ! D’ailleurs, la Monarchie de Juillet emplit de son souvenir tous les quartiers circonvoisins, ceux de la Marine et ceux de la rue Bab-Azoun, qui, elle-même, avec ses arcades modestes, ses maisons basses et sans gloire, a bien la physionomie de ce temps-là et la lassitude mélancolique des vieux logis qui vont disparaître. Rue de Chartres, rue d’Orléans, rue de Nemours, rue de la Charte, rue des Trois-Couleurs, on ne peut faire un pas dans ces ruelles vétustes, mi-européennes, mi-mauresques, sans être poursuivi par la mémoire du Roi-citoyen et par tout un cortège d’ombres en haut-de-forme et en redingote à tuyaux qui furent les contemporaines de M. Thiers et de M. de Lamartine…

Cet Alger orléaniste a son sanctuaire secret et, je crois bien, ignoré de la plupart des Algériens, dans un recoin de ce jardin Marengo, où, de loin en loin, j’aime à revenir m’accouder au balcon des souvenirs. On le trouve tout en haut, au milieu d’une terrasse plantée d’arbres, qui domine les méandres de la Rampe Vallée. Ce bosquet s’appelait autrefois le Jardin Amélie ; il était dédié à la vertueuse et très aristocratique épouse du roi Louis-Philippe. Et on y voit encore un kiosque de style mauresque entièrement revêtu d’azulejos, qui fut élevé, parait-il, lui aussi, par le fameux colonel, donateur de la colonne « à la gloire des braves de la jeune et de la vieille armée. » C’est une copie d’un monument funéraire plus ancien, qu’on dut raser lors de la construction de l’enceinte française de la ville. Au centre de l’édicule, sur un fût de colonne qui est encore en place, se drossait un buste du Duc d’Orléans, prince royal. Je ne sais rien de plus émouvant que cette colonne tronquée et veuve de son buste, ce coin de jardin abandonné, où le rappel de grandes choses qu’on oublie se mêle à celui d’une jeune et charmante destinée si lamentablement brisée.