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Auparavant, il avait été l’une des gloires du lycée d’Orléans, où il avait eu pour maitre Anatole Bailly, l’auteur du Dictionnaire grec, qui l’avait bien vite distingué, et dirigé vers l’École normale. Élevé par une mère infiniment tendre et bonne, profondément chrétienne, et qui n’a vécu que pour son fils, quand il quitta pour Paris la vieille cité natale, où le culte de Jeanne d’Arc est une tradition séculaire, il emportait, avec un solide bagage de connaissances et de lectures, des directions très précises : beaucoup travailler, beaucoup savoir, conquérir quoique notoriété, afin de faire honneur à sa mère et de rendre témoignage à leur foi commune, tel était le noble programme de vie qui, de bonne heure, s’était imposé à la pensée de ce frôle adolescent. Il n’en devait jamais dévier.

La mère n’avait pas voulu quitter son fils : loin d’elle, dans la morose promiscuité des internats parisiens, il aurait moins bien travaille, soumis à des contacts plus rudes, sevré de la douce chaleur attentive du foyer maternel. On s’installa rue Gay-Lussac, à la porte de l’École normale, où, en 1888, après deux années d’intense préparation, le lauréat de Louis-le-Grand entrait cacique. Vous n’ignorez pas qu’on appelle ainsi à l’École le premier de chaque promotion.

Je ne crois pas que Georges Goyau ait gardé un mauvais souvenir de ses quatre années d’École normale. Ses camarades le taquinaient un peu, mais au fond, ils l’aimaient bien et ils étaient très fiers de lui : ils lui savaient gré de sa parfaite bonne grâce, de son ardeur à rendre service, de sa prodigieuse puissance de travail, de sa précoce érudition, et, sans bien s’en rendre compte parfois, ils subissaient le prestige de son élévation morale. Dans ce milieu juvénile et exubérant, ouvert aux quatre vents de l’esprit, son intelligence s’affina, s’assouplit, se prêta aux questions les plus diverses ; sa foi, qui semble d’ailleurs n’avoir jaunis subi aucune atteinte, s’aguerrit et se trempa, parmi ces discussions sans fin où se complait la vingtième année René Pichon, l’humaniste accompli, le philosophe Léon Brunschvieg, le futur éditeur de Pascal, appartenaient à cette promotion de 1888. Tout en suivant avec assiduité l’enseignement d’Ollé-Laprune et de Brunetière, Georges Goyau ne fut ni littérateur, ni philosophe : le maniement des idées abstraites ne le séduisait guère, et, d’autre part, il ne se sentait pas la vocation d’un pur lettré ; l’histoire, au contraire, avec la diversité d’apti-