Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/322

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui lui succédera. Un « esprit nouveau » a soufflé. Ce qu’on a justement appelé le « scientisme, » décidément battu en brèche, fait place à une conception plus haute et plus large des choses et de l’homme. Le Disciple de M. Bourget, l’Essai sur les données immédiates de la conscience de M. Bergson, le Dix-huitième siècle d’Émile Faguet, qui paraissent coup sur coup, sont des témoignages divers, mais également significatifs de ce nouvel état d’esprit, qui, un peu plus tard, devait s’exprimer avec tant de vivacité dans l’article Après une visite au Vatican. À ces préoccupations nouvelles les « directions pontificales » et l’encyclique Rerum novarum faisaient noblement écho. Sur toutes les questions que soulevaient ces livres et ces manifestes, on discutait avec ardeur à l’École normale, et Georges Goyau n’était pas le moins ardent à prendre parti. Il faisait plus. En collaboration avec Jean et Bernard Brunhes, il publiait, sous l’anonyme, un petit livre intitulé Du Toast à l’Encyclique, qui ne passa point inaperçu, et qui était, en même temps qu’une exposition historique fortement documentée, une apologie assez batailleuse des doctrines politiques et sociales de Léon XIII. D’autre part, en compagnie de Jean et Bernard Brunhes encore, de Victor Giraud et de quelques autres normaliens, il collaborait à un journal hebdomadaire, la Concorde, qui, avec une fougue toute juvénile, applaudissait aux diverses manifestations de l’« esprit nouveau. » — « Une voix s’élève, — y disait l’un, — de plus en plus forte, de plus en plus éloquente, de plus en plus confiante aussi, et qui, s’adressant aux chefs de la génération précédente, s’écrie, désabusée : Ô maîtres, vous avez voulu nous abreuver de science. Mais la science nous a trompés. Nous croyions nous connaître, et nous ne savions pas comment vivre. Vous avez cru nous rendre plus sages : vous n’avez pas su nous rendre meilleurs. Puisque telle n’a pas été votre œuvre, il faut que ce soit la nôtre. » Si épris qu’il fût de science positive, Georges Goyau souscrivait à ces paroles, et, pour sa part, il travaillait à remplir ce programme. Le miracle était que, parmi tant d’occupations extra-scolaires, il trouvât encore le temps de préparer l’agrégation et d’y conquérir la première place. Il est vrai qu’il n’a jamais admis pour lui-même la journée de huit heures, et qu’il lui arrivait souvent de passer des nuits entières à sa table de travail. L’ascétisme est la condition de toutes les grandes œuvres.