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Or il arriva bientôt ceci : un certain « Roi de l’Or » acheta le palais de la Dame de Volupté, avec tout ce qu’il contenait, la Dame comprise. Fidèle à son serment, Auférus aussitôt s’inclina devant le second, maître plus puissant que l’amour, et, lui rendant hommage, il le suivit.

Mais le maître numéro deux en avait un lui-même, Sathanaël, ou le Prince du Mal, qui le lui fit bien voir. Alors ; pour le Prince du Mal, Auférus abandonna le Roi de l’Or et le nouvel état de cet homme devint pire que le premier. Après avoir été l’esclave des puissances mauvaises, de la luxure, puis de l’avarice, il en servait le principe même et l’auteur.

Un jour, le démon transporta Auférus sur le sommet d’une haute montagne. On découvrait de là « d’innombrables villes, » en d’autres termes, « tous les royaumes de la terre. » Et le Prince du Mal se mit en devoir d’enseigner à son serviteur et disciple une sorte de théologie falsifiée et de catéchisme à l’envers. Mais au beau milieu de la sacrilège leçon, voici qu’apparut dans le ciel la forme lumineuse d’une cathédrale, que surmontait la croix. D’où grimaces, contorsions, fureur et fuite du matin, vaincu à son tour. Troublé jusqu’au fond de l’âme, Auférus se remet en quête encore une fois, et, cette fois, en « queste de Dieu. » Longtemps il parcourut la terre. Il interrogea les rois, le Pape même. Et celui-ci lui répondit, à peu près comme à Tannhäuser : « Lorsque les grands pins des forêts se fleuriront de roses blanches, ton Sauveur en pitié te prendra et le roi du ciel vers toi descendra. » Auférus alors retourna dans ses montagnes natales. Il y trouva, devant l’autel abattu des faux dieux qu’il avait adorés jadis, un vieil ermite en prière. Et par la voix de cet autre Gurnemanz, ce nouveau Parsifal commença de connaître la vérité. Bientôt, à demi chrétien déjà et ne respirant plus « que du côté du ciel, » le bon géant se retira dans une cabane, au bord d’un torrent furieux. Là, par charité pure, il se fit passeur. Pendant un violent orage, plusieurs personnes survinrent et tour à tour lui demandèrent le passage : un amant, pour aller rejoindre sa maîtresse, en l’absence du mari ; puis un homme d’affaires, puis un empereur, avec son armée, (comme dans Shakspeare.) Le vertueux passeur ne voulut passer ni l’amour coupable, ni la finance, ni la guerre. Enfin un petit enfant se présenta. Auférus accepta de le prendre sur son épaule. Tout à coup, au milieu du torrent, le fardeau léger se fait si lourd, que le géant s’arrête, comme s’il portait le monde. Il en portait le créateur. L’enfant, l’Enfant-Dieu, se fait alors connaître. Il verse l’eau du torrent sur le front d’Auférus. Il le nomme Christophore, ou Chris-