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par la logique et la raison, la mesure et l’équilibre, par tout enfin ce qui constitue l’ordre ou la « catégorie » de la pensée pure, il n’est pas un chef-d’œuvre de polyphonie, de la plus vaste et de la plus riche, qui l’emporte sur une phrase, une ligne, rien que mélodique et toute seule, de Mozart.

Pour le sentiment ! Comme Chérubin, « pour le sentiment, c’est un jeune homme qui… » ce Mozart éternellement jeune, Et le sentiment que respire la musique de Cosi fan tutte, qui l’égayé et l’attendrit à la fois, c’est « l’amour absolu de la beauté accomplie et heureuse[1]. » Il n’est rien que cet amour n’élève, ne purifie et ne transfigure. Qu’importe au Mozart de Cosi fan tutte, et, grâce à lui, que nous importe à nous le sujet, ou la situation, les personnages et les paroles ! « Adieu, reste-moi fidèle, écris-moi tous les jours, adieu, adieu. » Voilà ce que disent et redisent à deux amants leurs deux maîtresses, tandis que tout bas un mauvais plaisant en rit. Et voilà l’occasion, le prétexte du fameux, du divin quintette du premier acte. On citerait, au hasard, vingt exemples de ce mystérieux pouvoir, de cette magie des sons. Autant que les voix, les instruments, que dis-je, un seul, une noie unique, longuement tenue, de flûte ou de hautbois, l’exerce et nous y soumet, répandant sur nous, en nous, quelle secrète, enivrante douceur ! Taine encore, toujours : « Ceux-ci, » (les amoureux), « se déguisent en Turcs pour éprouver leurs maîtresses, ils feignent de s’empoisonner, la suivante se fait tour à tour médecin, notaire, et leurs maîtresses croient tout cela. Moi aussi, je veux croire ces folies, un instant, si peu d’instants qu’il vous plaira, et c’est justement pour cela que mon émotion est charmante. »

Que pourrions-nous ajouter ? Ceci peut-être : « Le grand secret… n’est que d’être naturel en devenant parfait. Tout art est là, tant que les hommes seront hommes. » Et cela ne serait pas une mauvaise définition du génie de Mozart. Autre chose encore, à propos d’un opéra de Cimarosa, mais qui peut se rapporter à Cosi fan tutte : « J’ai fait des réflexions sur la possibilité de marier si heureusement des sottises, des absurdités même, aux beautés les plus sublimes de l’art musical. C’est l’humour seul qui amène un pareil résultat, car l’humour, même sans être poétique, est une sorte de poésie et nous élève par sa nature au-dessus du sujet. L’Allemand est rarement sensible à ce charme, parce que ses goûts de Philistin ne lui per-

  1. Taine.