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débutants actuels le timbre de voix disparues, mais non pas oubliées. La salle n’a pas tout à fait sa physionomie d’autrefois, parce qu’on n’y laisse pénétrer que peu de monde, tout juste de quoi remplir quelques rangs de l’orchestre. Le balcon, où jadis les yeux allaient chercher les belles comédiennes et les artistes en renom, venus applaudir leurs cadets, est vide, et vides les loges où s’entassaient des amateurs passionnés. On ne respire plus cette atmosphère surchauffée et chargée d’électricité, où l’orage éclatait de lui-même. L’auditoire de maintenant, restreint et discipliné, est sage comme une image. La consigne est de ne pas manifester. Chaque fois que de timides bravos accueillent un concurrent sympathique, M. Marcel Prévost, qui préside avec autorité, agite une sonnette menaçante et fait planer sur nos têtes des pénalités rigoureuses… Mais déjà, peu à peu, loges et balcons ont commencé de se garnir : il y a de l’avenir.

Jamais les concurrents n’avaient été aussi nombreux. La raison on est qu’on a admis à concourir tous les élèves dont les études avaient été interrompues par la guerre. On lisait au programme, sous leur nom, cette mention : « Militaire de 1914 à 1919. » Rien n’est plus juste que la faveur dont on a fait bénéficier ces braves garçons

Pour la tragédie, on comptait vingt-deux concurrents, hommes et femmes. Les morceaux de concours, très bien choisis, ont été tous empruntés à notre théâtre du XVIIe siècle ou au théâtre antique. Les années précédentes, si j’ai bonne mémoire, le drame romantique était mis sur la même ligne que la tragédie, et c’était une grave erreur. Cette année, on les a très justement séparés. A noter la proportion des scènes empruntées à Racine : dix-sept, contre trois seulement de Corneille, et deux de Leconte de Lisle.

Jules Lemaître a naguère, dans des feuilletons inoubliables, décrit l’ahurissement qu’éprouverait un témoin non averti, à se trouver soudain devant ces jeunes gens, vêtus comme vous et moi, et qui, dans une frénésie de gestes, avec de grands éclats de voix, se menacent, se plaignent ou s’accusent de crimes monstrueux. Cette gesticulation éperdue et ces hurlements sont restés la caractéristique de ces tragédiens en herbe. Ils arrivent, sombres, repliés sur eux-mêmes, lugubres : des cris qui leur échappent nous avertissent qu’ils sont sous pression : bientôt ils se démènent et ce sont des invectives où nous ne discernons rien qu’une tempête de bruit ; puis ils donnant un grand coup dans la porte du fond, et disparaissent.

Aussi le classement n’est-il pas fort difficile à faire. Dès qu’on