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réjouissant : nous songions en l’écoutant à la bonhomie malicieuse d’un Daubray. Mais serait-il plus difficile de « faire rire les honnêtes gens » que de les émouvoir ? M. Landier a été un Lorenzaccio, inégal, tourmenté, mais intéressant. M. Arnoux a interprété avec élégance et légèreté le rôle de Valmoreau des Idées de Madame. Aubray : il a bien fait sentir l’inconscience et le foncier égoïsme du personnage. Et nous avons retrouvé dans le rôle de Guillaume Le Breuil, du Dédale, M. de Rigoult avec sa belle voix, la largeur et l’aisance de son jeu.

Cependant l’ordre des épreuves ramenait le nom de M. Siber, appelé à concourir dans Torquemada. Mais les choses ne devaient pas se passer si simplement. À peine entré en scène, M. Siber se tournait vers le jury et sollicitait l’autorisation de concourir dans un autre rôle. « Monsieur Siber, déclara d’une voix ferme M. Marcel Prévost, vous passerez à la fin de la liste. Dans l’intervalle, le jury délibérera sur votre cas. » C’est ainsi qu’à la fin de la journée, M. Siber reparut, le trente-neuvième et dernier, et joua Ruy Blas. Il y fut de tout premier ordre, et très supérieur à ce qu’il s’était montré la veille dans la tragédie. En lui décernant le premier prix à l’unanimité, le jury, qui ne lui gardait pas rancune, a rendu justice aux incontestables qualités d’un jeu très personnel. C’est M. Siber qui est le grand vainqueur de la journée. Il peut espérer de beaux succès dans le drame romantique, à condition qu’il se méfie de lui-même, qu’il ne prenne pas de simples fantaisies pour les inspirations du génie et considère qu’il lui reste beaucoup à travailler.

Au concours des femmes, vingt concurrentes : c’est la discrétion même. Trois scènes seulement sont tirées de Molière. En revanche, nous aurons trois fois à entendre la même scène tirée des Tenailles : à la fin, nous aurions donné la réplique à Irène Fergan, et nul de nous ne pouvait plus ignorer qu’ « au fond du malheur il n’y a plus que des époux. » Le rôle délicieux de Cécile d’Il ne faut jurer de rien, a été interprété à ravir par M, le Renaud, qui en a rendu toutes les nuances et détaillé toutes les finesses. Elle a de l’émotion, du naturel, de la fraîcheur. Nous l’avions déjà remarquée en Agnès. Cette jeune fille, menue et gracieuse, sera une charmante ingénue. Le jury, dans sa sagesse, ne lui a accordé qu’un second prix, estimant sans doute qu’une année d’études achèvera de faire d’elle une excellente comédienne. Mlle Coutan Lambert a joué avec beaucoup de distinction le rôle si difficile de l’énigmatique Camille dans On ne badine pas avec l’amour. Et nous aurions souhaité mieux qu’un second accessit pour