Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourparlers, plus dangereusement s’y émoussera notre volonté de ne rien céder de nos droits essentiels. La lassitude, les désagréments des discussions vaines, l’impatience d’en finir, l’apparente commodité des solutions transactionnelles, nous amèneront insensiblement à des capitulations. Si nous voyons que les choses tournent contre nos intérêts nationaux, sachons nous arrêter à temps. Rien ne sert de tarder; il faut sortir à point.

Peut-être, d’ailleurs, le désarmement, les réparations, le charbon, la punition des coupables, les sanctions, ne sont-ils pas les seuls articles du programme qu’auront à examiner les négociateurs. Déjà M. Fehrenbach avait émis la prétention d’évoquer devant la Conférence d’autres clauses du traité, notamment celles qui fixent le statut de Dantzig. Nous voyons maintenant M. Théodor Wolff reprendre, avec une ardeur singulière, dans le Berliner Tageblatt, et recommander aux délégués allemands, toutes les thèses dont le succès amènerait le bouleversement total des traités de Versailles et de Saint-Germain : rattachement de l’Autriche à l’Allemagne, réduction des troupes d’occupation sur le Rhin, conservation de la Haute-Silésie. Chaque fois que nous invitons les Allemands à nous expédier le charbon qu’ils nous ont promis, ils nous disent : « Rendez-nous celui de la Haute-Silésie, » et, si nous répondons : « Payez-nous, d’abord, sur le bassin de la Ruhr, » ils répliquent: « Nos industries avant tout. Quand toutes nos cheminées fumeront, nous songerons à vous. » Or, les officiers alliés et les voyageurs qui reviennent d’Outre-Rhin y voient tous les hauts-fourneaux allumés et toutes les manufactures en activité. Derrière son camouflage de misère, l’Allemagne est diligemment occupée à se reconstituer et lorsque nous aurons eu la candeur de lui remettre une partie de sa dette, elle redeviendra, sur tous les marchés du monde, la grande rivale de l’Angleterre. Ce jour-là, M. Lloyd George, qui sera toujours jeune et toujours premier ministre, ne se consolera pas.


RAYMOND POINCARE,

Le Directeur-Gérant : RENE DOUMIC.