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AU PAYS BRETON

II [1]


AVEC LES PÊCHEURS (ÉTÉ)

De la cale du bourg, les yeux se tournent d’eux-mêmes, toujours, vers l’ouverture de l’estuaire. Cette petite ligne d’infini tendue là-bas, entre la lande et les vieux bois familiers, attire étrangement, bien plus que le demi-cercle du large déployé devant une côte. On perçoit la profondeur de l’espace : c’est une issue vers un au-delà visible, et dont le désir renaît toujours. Par ces parfaits matins d’été, nous sortons souvent, et parfois pour toute la journée. Ce qui nous prend si fort, dans ces longues courses en mer, où l’on est seul sur un très petit bateau, ou bien avec des marins qui parlent peu, c’est la simplicité cosmique des choses. Un morceau du monde éternel apparaît, et l’on oublie son être distinct ; le petit mouvement de l’esprit s’arrête, on participe à la grandeur de cet univers qui vous porte, et par lequel il est bon de se sentir porté. Rien qui tranquillise et purifie davantage. A trois milles au large, la terre, qui est basse, se réduit à rien : une ligne imperceptible, le plus mince ruban de fumée bleuâtre, sans un détail auquel on puisse donner un nom. Simplement, c’est la terre, qui pourrait être celle de l’Inde ou de la Chine, aussi bien que le continent d’Europe. On retrouve le sentiment de la planète.

Par les plus beaux jours, un voile vaporeux enveloppe l’horizon, et la côte ne tarde pas à s’y évanouir. Il n’y a plus rien que la plaine liquide, l’étendue claire, où pas un objet n’arrête le regard, où tout est mouvement, fuite, glissante ondulation, et le profond ciel pâle où l’astre poursuit sa course. Nul

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.