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refusais à l’examen des preuves intrinsèques, qui me paraissaient ne pouvoir conduire à rien de substantiel et de précis, M. Lanson, plus hardi que moi, sa livrait à cet examen, et par une discussion minutieuse, subtile et fort bien conduite, il aboutissait à des résultats beaucoup plus positifs et concluants que je ne m’y serais attendu. Sans doute, il lui arrivait, chemin faisant, comme il nous arrive à tous, d’abonder un peu trop dans son sens, et de s’attarder à des arguments faciles à rétorquer et sans grande force probante. Mais il ne m’en coûte nullement de reconnaître que, sur le fond des choses, il a raison contre moi : le fort de son argumentation me parait décisif, et il aura l’honneur d’avoir restitué, je crois, définitivement, à Pascal un texte, d’ailleurs admirable, — dont j’avais indûment failli déposséder le grand écrivain.


Car, je dois l’avouer, — et tant il est vrai que le scepticisme pur est une attitude intellectuelle difficile à soutenir ! — j’avais eu le tort de ne pas m’en tenir au doute provisoire en ce qui concerne l’attribution du Discours à Pascal. Je laissais entendre que l’hypothèse avait contre elle « des présomptions très fortes, » et j’en signalais rapidement quelques-unes : l’ignorance où nous avons été pendant deux siècles de l’existence du Discours, le contraste violent que forme l’opuscule avec tout ce que nous savons de l’œuvre et de la vie de Pascal. Emile Faguet et M. Lanson m’ont fait observer que ces deux faits peuvent donner lieu à toute sorte d’hypothèses contraires, et qu’en tout cas, il ne prouvent ni pour, ni contre l’attribution du Discours à Pascal. Réflexion faite, je reconnais le bien-fondé de leurs observations.

Mais, à vrai dire, ces observations n’entament pas le fond de la thèse que j’avais défendue, et puisqu’à cette thèse tout le monde s’est rallié, Emile Faguet comme M. Brunschvicg, et M. Lanson comme Emile Faguet, je suis, ce me semble, fondé à croire qu’elle est inattaquable. M. Lanson résume exactement ma pensée en ces termes : « On ne sait pas d’où viennent les copies du Discours sur les passions de l’amour ; on ne sait pas par qui, pour qui, ni pour quoi elles ont été faites ; on ne sait pas dans quel milieu elles ont circulé : personne n’a parlé de l’ouvrage, ni nommé l’auteur, hormis une voix inconnue dont