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plus cru, sur les mœurs d’outre-Manche, Lettres d’amour, rendez-vous, aventures de Week end, dépositions de portiers d’hôtels, interrogatoires de femmes de chambre, rien n’y manque. C’est un véritable roman feuilleton, qui a le double avantage d’avoir été vécu, et de ne comporter aucun droit d’auteur. Par cette trouvaille ingénieuse, lord Riddel en quelques années a, m’assure-t-on, gagné quelques millions. Il a franchi le cursus honorum : il a été fait successivement chevalier, baronnet, lord comme on l’est toujours en Angleterre quand on est riche et qu’on sait à propos faire profiter de sa fortune la Caisse électorale d’un des deux grands partis.

Lord Riddel, qui a la pleine confiance de M. Lloyd George, réunit tous les jours sur le coup de sept heures les journalistes anglais et aussi les américains (les États-Unis n’ayant pas de représentant officiel à la Conférence). Il leur distribue une abondante pâture ; il leur fait le récit, quelquefois un peu tendancieux, de ce qui s’est passé.

Il y a aussi, cela va sans dire, des journalistes allemands. Durant les premiers jours, ils se tenaient un peu à l’écart, hésitant à se mêler aux groupes ; à mesure que la Conférence se prolonge, ils s’enhardissent ; certains d’entre eux essaient d’engager la conversation avec leurs confrères alliés.

Un soir, comme j’étais, avec un de nos amis, attablé dans un des cafés de Spa, un journaliste allemand vient nous dire d’une voix tremblante : « Savez-vous si c’est à notre intention qu’on a crié : Heraus (à la porte ! ) ? »

— Nous n’avons rien entendu, répond mon ami. Personne ne semble faire attention à vous.

— Vous en êtes bien sûr ? dit l’autre à moitié rassuré. Il nous a semblé entendre crier : Heraus. Dans ce cas nous partirions tout de suite. Nous avons l’ordre formel de notre délégation, d’éviter toute espèce d’incident[1].

Tous ces journalistes télégraphient ou téléphonent leurs articles, le télégraphe étant de plus en plus remplacé par le téléphone, plus rapide et moins cher. L’administration belge a fait installer un bureau de rédaction et des cabines téléphoniques dans le hall central de l’Etablissement de bains. Vers onze heures du soir,

  1. Un de ces journalistes, Herr Stockolossa de l’Agence Wolff, reçut un soir quelques vigoureux coups de canne d’un officier belge, blessé pendant la guerre, qui perdit la tête lorsqu’il vit attablé tout près de lui des Allemands.