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parmi les languissants flonflons des valses, un coin de Tchécoslovaquie, où il faut admirer la jeune vigueur d’une administration des douanes toute neuve… Voici franchie la frontière de la Pologne libre. Parmi mes compagnons de voyage, bien des yeux se mouillent. Au matin, les paupières battues, une jeune femme murmure : « J’ai senti battre toute la nuit le cœur de mon pays ressuscité. »

Et c’est Varsovie. Varsovie, que j’ai quittée russe, qui a subi l’occupation allemande, où, du flux moscovite, il ne reste qu’une épave, colossale, la masse de la cathédrale grecque échouée sur la Place de Saxe, et du flux germanique qu’une rancœur qui dépasse la faculté d’amertume et de mépris dont je croyais susceptible la douceur polonaise traditionnelle : dulce sanguis Polonorum.

Certes, la souffrance et les privations du présent marquent leur empreinte. Où sont les beaux équipages d’antan ? Les magasins demeurent élégants, mais sont encore à demi vides. Des queues interminables s’allongent devant ceux où, à des prix fous, se vendent des vivres. Une foule, pieds nus, s’agite dans les rues, la mendicité est innombrable.

N’importe, c’est la joie, c’est la confiance qui domine. Incessamment, de longues acclamations saluent les chants, — on dirait plutôt les cantiques, — des bataillons de jeunes soldats qui partent pour le front, les cortèges de paysans et de paysannes silésiens, vêtus de costumes magnifiques, qui viennent manifester en faveur de la réannexion.

Le jour de la Fête-Dieu, dans la ville pleine de chœurs, des jeunes filles, vêtues de blanc, et aussi des femmes âgées, défilent chargées de bannières, d’oriflammes, de dais, d’images de la Vierge et des saints, de reliquaires. D’autres portent à la main de longs lys blancs, il y a, vêtues de blanc, les écoles de fillettes dont les pieds nus claquent sur le trottoir dans des galoches de bois. Un singulier tambour bourdonne à intervalles rapprochés. Au passage des cortèges harmonieux, tous les fronts se découvrent et ils entraînent dans leur sillage une foule recueillie. Quelle est la traduction littérale de ces hymnes, je l’ignore, mais non ce qu’ils signifient. Ils n’implorent ni la foi ni le courage : toute la Pologne les possède. Mais ils remercient Dieu du grand miracle qui vient de ressusciter la patrie, le supplient de donner aux faibles cœurs humains les forces