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pèlerins qui, arrivant des plaines lointaines arrosées par la Vistule, viennent s’agenouiller dans nos sanctuaires ; puis ces magnifiques ambassadeurs qui étonnent la cour de Catherine de Médicis, non seulement par leur faste, mais par leur raffinement et l’ardeur de leur plaidoyer en faveur de la tolérance. Au XVIIe siècle, les liens politiques se précisent. « J’irais à pied, écrit Colbert à Louis XIV, pour suffire à l’emprunt pour la Pologne. » Puissent, pour l’intérêt commun de l’Entente et de la Pologne, nos financiers être des Colbert !… Au siècle suivant, la bonne reine, Marie Leczynska, popularise à la cour le nom polonais, et le développement de la Lorraine est attaché à celui du roi Stanislas. Puis, c’est la magnifique fraternité d’armes des guerres de la Révolution et de l’Empire : Dombrowski, Poniatowski, cinq de leurs compatriotes ont leurs noms inscrits sur les parois de l’Arc de Triomphe. Au XIXe siècle, les trois vagues de l’émigration, succédant aux trois défaites de l’insurrection, refoulent en France des flots pressés de héros malheureux. Ils appartiennent à toutes les catégories de la nation, ont en commun le courage, la douleur, la foi. Dans sa chaire du Collège de France, un Adam Mickiewicz expose à l’élite européenne le martyre de son peuple. Un Chopin incarne son cri de douleur harmonieux. Jusque dans nos faubourgs et nos campagnes, le soldat polonais blessé, la Polonaise en deuil et l’orphelin font vibrer le cœur populaire. L’image, aussi bien que la chanson et l’anecdote, s’emparent de la cause sacrée. Dans des modes divers, Charlet et Raffet, Daumier et Cham, Vernier, Draner, combien d’autres, la maintiennent à l’ordre du jour de l’indignation nationale. Grâce à Mme de Ségur, toutes les fillettes de France sont amoureuses du pauvre prince Romane Pajarski. Quand elles ont grandi, Sienkiewicz leur offre la statue épique de son pays dans sa trilogie. Ainsi la Pologne demeure vivante dans le cœur de la France, prête à l’acclamer, le jour où la politique a cessé de clore ses lèvres.


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A l’heure historique où nous sommes, au moment où tout comme un nouveau monde politique, c’est un ordre intellectuel et moral nouveau que nous avons à édifier, quelles sont les directives, quelles sont les suggestions que la France peut offrir ?

Hélas ! nos élites littéraires et scientifiques ont été fauchées