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douter, que Barnave, devant le tribunal révolutionnaire, a bien résolument dit le contraire de la vérité.

L’on me pardonnera, si je confesse que je n’en suis pas choqué le moins du monde. Barnave ne prête pas serment et ne prend pas à témoin de ses déclarations Dieu, qui n’était plus à la mode, ni l’Être suprême, qui était en suspicion. Tout simplement, il « atteste sur sa tête : » et c’est, en quelque sorte, son affaire ou une affaire entre sa tête et lui. Quant à l’exacte vérité qu’on doit à un Dumas ou à ce Fouquier-Tinville, à mon avis, ce n’est rien.

Mais, pour les grands admirateurs de Barnave et de tout ce qui s’ensuit, — la « justice » révolutionnaire, au bout du compte, fait « bloc » avec la révolution, voire avec les révolutionnaires et Barnave, — le mensonge de Barnave est extrêmement désobligeant. A l’époque où M. de Heidenstam donna ses documents, miss Bradby achevait sa Vie de Barnave, un panégyrique très complet de cet orateur. Elle ajouta un post-scriptum et déclara que les lettres de la Reine et de Barnave étaient apocryphes : ces lettres ne seraient que l’œuvre d’un faussaire. Et c’est bien commode. Si l’on pouvait ainsi se délivrer des témoignages qui ne vous agréent pas, l’histoire mettrait le passé à la disposition de notre fantaisie, comme il arrive plus souvent qu’on ne le sait. D’ailleurs, un savant boche et qui, pour une fois, avait raison, nota qu’il y avait, dans lesdites lettres de Barnave et de la Reine, quelques erreurs et anachronismes. On examina les originaux ; et que ne vit-on pas ? les erreurs et anachronismes étaient le fait de l’éditeur : quant aux lettres, il ne fallait pas douter de leur authenticité. L’expertise ne tourna point à l’honneur de M. de Heidenstam : les gens ont la manie de ne publier presque jamais sans facétie leurs documents. Elle ne tourna point au gré de miss Bradby. De sorte que la question qui chagrinait Sainte-Beuve se pose, comme je le disais, d’une façon plus nette qu’autrefois. L’éditeur attentif des Mémoires et des Notes et souvenirs de Théodore de Lameth, M. Eugène Welvert, prétend la résoudre ; et son volume, Le secret de Barnave, est d’une lecture agréable.

A quelle époque faut-il faire commencer les relations de la Reine et de Barnave ? Sont-elles antérieures au retour de Varennes ? M. Welvert ne le croit pas. Son argument le meilleur est une lettre de Barnave, du 28 août 1791 : « Qu’elle (la Reine) veuille se rappeler qu’on lui a tenu le même langage dans un moment où il n’y avait que des sentiments nobles et purs qui sussent, dans la position où elle était, intéresser à elle celui qui ne l’avait jamais connue, et dont les