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château. Il le dit, répond M. Welvert, dans sa plaidoirie, non pas au cours de son interrogatoire. Ce qu’il a dit dans son interrogatoire est sûr. Mais, sa plaidoirie, nous ne l’avons que par la rédaction qu’en a faite, sur des notes rapidement prises, son avocat Lépidor : il n’a peut-être pas dit, au bout du compte, qu’il n’eût jamais mis les pieds au château ?… Je le veux bien : mais, sérieusement, un garçon qui a eu des entrevues avec la Reine et, avec la Reine, une correspondance et qui prétend qu’il n’a pas eu de relations avec la Cour, ce qu’il raconte, c’est le contraire de la vérité.

Comme si la deuxième explication ne valait pas grand’chose, M. Welvert nous en offre une troisième. Est-ce que vous auriez horreur d’imaginer que Barnave eût promis, juré le secret à la Reine Marie-Antoinette ? Or, Marie-Antoinette n’est plus là pour le délier de son serment devant le tribunal révolutionnaire. « Chevaleresque comme il l’était, » il a dû se faire un scrupule de se parjurer. « Il se trouvait dans l’alternative ou d’altérer la vérité, sans autre préjudice que pour sa mémoire, ou de découvrir un secret qui eût achevé d’accabler la mémoire de la Reine. Entre un mensonge et une infamie, il n’était pas dans le caractère de Barnave d’hésiter : qui oserait lui en faire un reproche ? » Personne ! Mais veuillez, en outre, ne pas oublier que Barnave se défendait, qu’il avait ce diable de Fouquier-Tinville à ses trousses, et que peut-être il n’espérait pas beaucoup de sauver sa tête, mais qu’il y tâchait, et qu’il ne plaidait pas pour autre chose. Avouer qu’il avait eu, avec la Reine, cette correspondance et des entrevues, autant valait donner sa tête à couper, sans la défendre et sans plaider. Du moment qu’il plaidait sa cause et du moment qu’il ouvrait la bouche pour se défendre, il devait nier ses relations avec la Reine. Son mensonge n’avait pas beaucoup de chances de réussir : mais il n’avait, lui Barnave, pas d’autre chance de réussir que par ce moyen-là. Il a menti : il a bien fait ; mais dites-le. Et renoncez à le trouver chevaleresque à ce propos.


ANDRE BEAUNIER.