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Cette latinisation si intime, si persistante de l’Afrique du Nord, les premiers qui s’en aperçurent, ce furent ceux qui parcoururent le pays étape par étape, qui l’occupèrent à grand peine, en le gagnant morceau par morceau : ce furent nos soldats, notre armée, — l’armée de la Conquête.

Devant les premiers débris romains, les premiers fragments d’inscriptions latines ou grecques, que heurtèrent leurs souliers ou les crosses de leurs fusils, on imagine leur émotion. Ces reliques miraculeusement sauvées, leur parlaient un langage amical, tout de suite intelligible, — et, sur cette terre redevenue sauvage, pleine de traîtrises et de périls inconnus, ce langage était réconfortant, délicieux à entendre, celle langue-là, c’était celle qu’ils avaient apprise au collège, c’était, en définitive, celle de la France. Quelle douce salutation pour ces errants et ces exilés ! L’illettré lui-même, le paysan ou l’ouvrier de nos villes, reconnaissait dans cette ruine antique, dans ce chapiteau mutilé, non seulement les formes architecturales auxquelles ses yeux étaient accoutumés, mais jusqu’aux modes de bâtir en usage dans son hameau lointain.

On comprend dès lors l’espèce de vénération fidèle dont nos soldats d’Afrique entourèrent les ruines et les moindres vestiges de la Latinité. Dès le début de la conquête, ils se sont appliqués à relever ces ruines, à préserver d’une destruction complète tout ce qu’il était possible de conserver, à recueillir les médailles, les monnaies, les bronzes et les céramiques. Pendant un quart de siècle, un type d’officier africain peu connu en France — bien différent du sabreur et du casseur d’assiettes légendaire, — ce sera ce capitaine Delamarre, qui, l’album à la main, parcourut les deux provinces d’Alger et de Constantine dessinant les ruines antiques, précisant tel détail d’architecture, donnant la coupe et l’élévation de tel édifice. Aujourd’hui plus que jamais, l’Album du capitaine Delamarre est un recueil infiniment précieux pour quiconque veut se représenter les monuments romains de l’Algérie dans leur premier état, — c’est-à-dire avant les fouilles et les restaurations.

Assurément tous nos soldats et tous nos officiers n’imitèrent point cette belle piété archéologique. Des mutilations, des actes