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AU PAYS BRETON

III [1]


III. LE PARDON BIGOUDEN — 15 AOÛT[2]


À l’autre bout du petit monde bigouden, au bord de cette côte sauvage qui, par gros temps d’Ouest et de suroît, nous parle, nous appelle, à cinq lieues de distance. Alors, l’obscurité venue, on perçoit un grondement profond et vaste qui semble monter de tout l’au-delà, derrière la rivière et les bois, en même temps que, par-dessus la cime des pins, passe, de cinq en cinq secondes, un éclair si trouble, si diffus, que c’est plutôt comme une palpitation, un émoi lumineux dans les ténèbres : le fouet du grand phare d’Eckmühl, girant dans l’espace, éclairant à chacun de ses retours l’épaisse poussière d’eau qui court avec le suroît dans la nuit.

Etrange pays, où l’on pourrait se croire dans une autre partie du monde, — à quelle distance des ombreux refuges de la rivière, de nos verts, intimes demi-jours ! Il tient de la mer et du désert. L’espace y est immense, la plaine toute rase, d’un jaune pâle, brûlée par le vent du large, sans un bouquet d’arbres, même quand on regarde du côté de l’intérieur. Des murets de pierre, de galets, y séparent de maigres blés et des

  1. Voyez la Revue des 1er juillet et 1er août.
  2. Plusieurs aspects de ce Pardon ont changé. On y voit encore, çà et là, les célèbres costumes aux broderies couleur d’or, mais ils n’y apparaissent plus en masses. La mode nouvelle est au noir pur. Les mendiants sont moins nombreux, et les forains, l’an dernier, ont fait leur apparition. Quelques-unes des scènes que l’on décrit ici rappelleront au lecteur des peintures, bien connues, de MM. Lemordant et Lucien Simon, notamment La Procession de ce dernier peintre.