Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ténèbres et de clarté. C’est une obsession, et jusqu’à l’aube elle s’impose. On clôt ses volets : cela palpite dans la chambre ; on s’abrite les yeux : cela passe entre les doigts, traverse les paupières ; on finit par s’endormir : cela entre dans le sommeil et dans le rêve. On se réveille : un mur est là, qui s’éclaire, s’évanouit, s’éclaire. On se rappelle, et l’on court à la fenêtre : la même pulsation est partout sur le monde. En haut, les deux grands bras rectilignes qui tournent et semblent de brume pâle. En bas, courant et girant sur l’étendue obscure, une immense traînée blanche où viennent s’illuminer, passer, par rangs, par plans, les choses de la terre : talus, chemins, enclos, maisons.. Elle s’éloigne, comme un galop silencieux et pâle dans la nuit ; mais une autre surgit, et déjà, elle approche, suscitant de noires silhouettes, et puis, de blêmes, spectrales apparences. A peine a-t-on reconnu, çà et là, la dune, une roche, un moulin, des toits, qu’elle vous prend, vous aveugle, et tout de suite s’enfuit, d’une vitesse qui, là-bas, vers l’horizon, devient énorme. Silence de la terre où courent ces apparitions. On n’entend que l’Océan, plus seul, semble-t-il, et dont grandissent les voix gémissantes ou terribles.


15 août. C’est le jour de Notre-Dame de la Joie, la petite chapelle perdue là-bas sur la grève, face aux infinis, à l’une des extrémités du continent. Temps radieux, vent d’Ouest, comme le vieux Corentin me l’avait prédit chez nous ; car sur l’arrière-pays, c’est du sanctuaire qu’il doit souffler, durant les quatre jours du Pardon. Le Pardon des marins, dit-on, mais les paysans de toute la région bigouden y affluent et sont de beaucoup les plus nombreux. Cette année, la fête sera plus éclatante que de coutume. Un désastreux coup de vent u passé sur la côte en octobre dernier, et c’est aujourd’hui que les rescapés doivent s’acquitter du vœu fait dans le suprême péril à Notre-Dame de la Joie.

En attendant, avant vêpres, à Saint-Guénolé, on n’avait pas l’air de penser au désastre. Une carriole m’avait jeté, avec un chargement de bigoudens, à la porte d’une grange, au milieu d’une foule chamarrée d’or et de vermillon. A l’intérieur, on s’apprêtait aux danses. Sur plusieurs lignes de bancs, au long des quatre murs, les belles filles attendaient, rangées en masses flambantes. Elles attendaient sans bouger, sans parler,