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des yeux. Qu’y a-t-il de plus beau que l’or, que la soie, les tons de fleurs les plus intenses, leurs jeux sur les noirceurs diverses du costume, — qu’une blanche mitre percée de trèfles et de croix, que les feux du cristal et du métal qui tremblent aux ardents quartiers de la coiffe ? Surtout le parti pris des lignes, de l’ordonnance est admirable. Voilà le style. Il apparaît spontanément chez tous les peuples où l’individu n’est pas encore dégagé, où personne n’inventa rien, où la beauté naît de la fidélité aux traditions du groupe. Style et couleur, comme au moyen âge, où les maisons, la foule présentaient les tons d’un parterre, comme en Perse, dans l’Inde, comme en tout cet Orient où se survivent aussi ce moyen âge et son enluminure. Pourtant quelques-unes, — deuil ou mode nouvelle de Pont-Labbé, — sont en noir. Mais quelle grandeur et quelles harmonies de ce ton unique ! Noir sur noir, celui que lustre du velours, et celui qui s’éteint sur le drap, celui de la soie aussi et des perles, car pour plus de sombre et raide magnificence, deux croissants couturés de jais remplacent aux tempes les habituels quartiers orange ; et, de même, c’est un flot de taffetas noir qui, d’une noire cocarde, tombe largement jusqu’aux genoux. Nul costume plus grave et plus fier. Pour la solennité de cette teinte funèbre, pour l’altière énergie du caractère, cela est digne de Velasquez et de Goya, — et quand l’argent remplace le jais du décor, l’impression espagnole en est rehaussée. On pense aux statues de la Vierge, en grand habit rigide, que l’on voit là-bas, parées de deuil pour une cérémonie de Semaine sainte. Et l’attitude est aussi droite. Près du rude Calvaire où leurs amies sont assises sur les degrés, celles-ci restent debout. On dirait qu’un tel costume interdit de se plier.

Deux d’entre elles sont d’un type un peu à part, presque citadin, et que l’on voit à Pont-Labbé : prunelles de langueur obscure, morbidesse de la chair, et dans ces deux visages incolores, le bel arc des lèvres saignantes et faites pour la volupté.

À côté de ces belles, une grosse dame, lâchement vêtue d’alpaga gris, et d’aspect fatigué, en chapeau marron et léguminifère, fait plutôt un triste contraste. Hélas ! la civilisation individualiste, utilitaire et citadine, a éteint beaucoup de choses en même temps que la couleur. Elle n’ajoute pas non plus à la dignité des âmes. Un monsieur qui doit sortir des mains du coiffeur, tant il est frisé, luisant de brillantine, déploie son