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richesse et la fierté de ses parures, une race étrange et magnifique, qui résiste encore, — pour combien de temps ? — aux influences de l’alcool.

Perçante, nasillante musique au dehors, tout d’un coup. Tout le monde se précipita. Devant la maison, montés sur deux tonneaux, deux musiqueux, — bombarde et biniou, — sonnaient la gavotte en marquant le rythme du pied : rythme rapide, celui d’une monotone, insaisissable et presque orientale mélopée. Alors les danses commencèrent : un lent et presque solennel sautillement sur place par longues files nouées.

La route était pleine de pardonneurs qui regardaient. Les jeunes filles semblaient toujours les plus nombreuses. Pourquoi y en a-t-il tant ? On dirait qu’elles composent la moitié de la population, au pays bigouden. En tout cas, on ne voyait qu’elles, comme on ne voit que les fleurs dans un jardin.

Il y avait un vieillard de type unique : le contraire d’un cadavre ressuscité, celui-là, un vif et vert aïeul, qui semblait s’amuser beaucoup. Il était vêtu dans le style du pays, mais la couleur et le décor de son costume (drap bleu, broderies très fines, boutons de cuivre et d’émail rouge, pantalon à pont) étaient à la mode d’un autre temps, — les plus anciens que j’eusse jamais vus au pays de Pont-l’Abbé. Sa barbe, qui, à son âge, aurait dû être toute blanche, était encore un buisson de flamme. Un personnage de légende, aux allures un peu de kobold, de lutin. Il avait l’air de s’y connaître, en privilèges d’aïeul, s’arrêtant devant les belles, leur clignant de l’œil, leur demandant des nouvelles de leurs amoureux, les faisant rire et rougir, — ou bien penché sur les bébés de deux et trois ans, les tout petits de son espèce, en costume déjà bigouden, comme le sien, mais rose ou bleu clair. Il tenait leurs menottes en interpellant les mères. Combien de semblables pardons avait-il vus autour de la chapelle de la grève ? Il était l’ancêtre de la tribu, à qui toutes les années n’ont apporté que plus de joie et de malice, qui circule solitaire au milieu des générations, et rit de voir que tout est comme toujours.


ANDRE CHEVRILLON.