Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/813

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’inscription : tombeau des Scipions à Rome. Je pris aussi un crayon et je fis un barbouillage quelconque, tout en rond ; je le tendis au complaisant bon papa : « Qu’est-ce que cela représente ? — Oh ! fit-il, le joli château ! quelle charmante demeure ! — Et ceci ? repris-je, après avoir barbouillé un autre papier. — C’est certainement, affirma le très complaisant bon papa la forêt où se perdit le petit Poucet. — Et cela ? tendant mon troisième barbouillage au trop complaisant bon papa qui crut cette fois distinguer un navire battu par la tempête ! L’enfance est inlassable ; triomphante de ces compositions où je ne croyais pas mettre tant de choses, je prétendis continuer ; mais bon papa avait la vivacité tout près de la patience ; il lança sa chancelière, ouvrit brusquement la porte : « Va-t-en, dit-il, tu es insupportable et tu dépasses la mesure, laisse-moi écrire et va retrouver tes mamans. » Et il me poussa dehors en faisant taper la porte. J’étais prodigieusement vexée, d’autant que cet éclat où bon papa n’avait mis aucune mesure avait été entendu du premier étage, où mes mamans riaient de tout leur cœur de cette scène qui n’arrivait pas pour la première fois !

Je m’effondrai sur une marche de l’escalier ; la chatte passa d’aventure ; je la saisis dans mes bras et je pleurai abondamment dans sa fourrure : « Oh ! Trotte-Menu, si tu savais, si tu savais !…

Trotte-Menu savait, si bien qu’elle ne s’affligea pas ; elle se mit à jouer avec les frisettes de mon front, les mordilla, s’étrangla, et finit par se fâcher, elle aussi…


IV. — BONNE MAMAN

Il y avait d’innombrables bonnes mamans ; il y en avait de redoutables, d’assez quinteuses, et de très séduisantes ; les trois principales étaient la bonne maman du matin, celle du dimanche, celle du passé.

Celle du matin siégeait à la cuisine d’où montaient de véhéments, « non non, non, non, non, non, non, » adressés de l’accent le plus vibrant à la cuisinière au sujet du marché mal fait ou d’un plat de confection douteuse. Maman, conciliante, lui disait : « Mais laisse donc cette fille un peu tranquille, tu es toujours sur son dos. » Bon papa, très gourmet (il raffolait des petits grands dîners), s’opposait : « Laisse ta mère, elle me fait des sauces à faire revenir un mort ! »