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ou des plateaux de Madagascar, il travaille en vue du Maroc. Quand nous le quittons après son premier séjour à Madagascar, nous savons de lui, sinon de son œuvre, tout ce que nous avons besoin de savoir. Il dira dans une de ses lettres : « Gallieni m’accueillit comme il accueillait toujours une réalisation. » La France lui fait le même accueil que Gallieni ; mais sa correspondance, si primesautière, nous montre comment l’homme qu’il rêvait d’être s’est réalisé.

Elle nous le montre en même temps comme un des plus beaux représentants de son époque par son intelligence, son humanité, son tour d’imagination et sa langue. Dans la lettre de 1896, qui sert d’avant-propos à cette publication et qui est fort intéressante, M. Max Leclerc l’admirait « d’agir avec une énergie indomptable, de sentir avec une délicatesse infinie, d’observer au milieu même de l’action, de décrire comme un maître et de comprendre la vie, quoique soldat » (c’est moi qui souligne). Pourquoi un soldat ne comprendrait-il pas aussi bien la vie qu’un industriel et même un romancier ou un historien ? C’est le signe d’un préjugé qui sévissait, à la fin du XIXe siècle et qui, d’ailleurs, ne s’appliquait pas seulement aux militaires. Que de fois je l’ai entendu !… « Il comprend la vie, quoique prêtre… Il comprend la vie, quoique professeur… » Il semblait que toute profession définie et hiérarchisée empêchât de comprendre cette chose immense, mystérieuse et complexe, que nous gonflons de tant de vagues aspirations et qu’on nommait, d’un air d’initié, la vie. Et pourtant, si je me reporte à mes souvenirs cueillis un peu partout, je n’ai jamais constaté qu’il y eût une classe d’hommes particulièrement inapte à cette initiation. En tout cas, ce n’eût pas été celle de nos officiers. Cette idée venait du romantisme, du divorce qu’il avait prononcé entre la pensée et l’action, et aussi de l’importance excessive qu’il donnait au métier dans la formation de l’individu. Mais plus on exagérait cette importance et plus notre civilisation encourageait l’individu à la surmonter. C’est une de ses marques les plus évidentes que la curiosité, la sympathie, la culture générale dont elle arme les âmes leur permettent de soutenir le harnais du métier sans en garder le pli ou la courbature. Aujourd’hui, les différences d’esprit que les diverses professions créaient parmi les hommes sont en train de disparaître, comme ont disparu les vêtements qui les distinguaient jadis. On ne s’en