Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tête qu’on éprouve à gravir les hauteurs de Kandy, si ombragées de splendeurs et de senteurs, il me semble l’éprouver encore quand il écrit : « Je suis monté par une route en lacets au flanc des montagnes qui domine le lac et la ville, dans les fleurs, dans les bambous, dans les héliotropes, dans les orchidées, dans un parfum. »

Avant de pénétrer dans son intimité, avant d’apprendre de lui combien il aime les étoffes de pourpre, les vieux ors, la musique, les odeurs, son sentiment de la nature et jusqu’au tour de ses phrases nous avaient révélé l’acuité de ses sens et sa disposition voluptueuse à l’exotisme. Plus tard, à Hanoï, il installera près de son salon une fumerie d’opium, non qu’il pratique ce poison ni que ses hôtes en fassent grand usage ; mais l’odeur s’allie bien au décor, et le décor lui a été une délicieuse occasion de bibelotage raffiné : « meubles, buffet aux ustensiles spéciaux, tentures, lampes en argent ciselé, pipes de toute matière, du simple bambou à l’ivoire et à l’ébène précieux. » Le même homme en campagne écrira : « Quelle bonne vie ! Ça va être la deuxième nuit sans se déshabiller, à se rouler dans les couvertures, sur une natte, au coin d’une paillotte. » Aussi, même en plein travail, même en pleine bataille, il restera toujours celui qui voit l’étrangeté des choses, qui s’en imprègne avidement, qui s’en délecte et qui, Dieu merci ! nous en fait jouir. Ses voyages d’inspection, ses marches forcées, ses navigations, ses nuits de labeur acharné, deviennent sous sa plume des fêtes pour nos yeux.

Je n’oublierai jamais son Fleuve Rouge à la tombée du soleil : « un bras de mer aussi sinueux qu’un ruisseau au niveau de la vaste plaine où des milliers de petits êtres jaunes et crochus tourbillonnent comme des insectes dans la lumière. » Evocation magique de l’Indo-Chine ! A Cao Bang, il s’est établi dans une grande pagode et il y travaille la nuit devant une table à dessins couverte de cartes. « Ma lampe éclaire à peine le sanctuaire profond : de l’obscurité me viennent quelques reflets d’or, la couronne de Bouddha, sa ceinture, la garde d’un sabre sacré, puis mes yeux s’y habituent et voici que je distingue l’énorme tête impassible. » Quel tableau : cet officier français levant les yeux de ses plans de campagne et cette tête de l’antique idole qui émerge de l’ombre ! Ses comparaisons sont souvent empruntées à ses souvenirs artistiques. « La frontière chinoise