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nécessaire et plus sacré que jamais après que nous avons perdu quinze cent mille de nos jeunes gens ; c’est le symbole de la résurrection de la chair après les ravages de la mort.

Ce n’est qu’un symbole ; et, si beau qu’il soit, je l’aime beaucoup moins que toute la réalité, simple et si pleine d’idées, qu’il remplace au dernier moment, d’une façon soudaine et un peu fabriquée.

Mais le véritable roman, plus intime, et qui a son foyer dans les deux âmes de Maria Ritzen et de Mme Bermance, et qui de là se répand au dehors avec une magnifique profusion de sentiments qui valent des doctrines, c’est le roman du pardon par l’intelligence et par le cœur. C’est aussi l’acceptation brave et religieuse de maintes conséquences de la guerre, la guerre étant un immense désordre auquel il faut que la conscience d’un chacun remédie. La guerre est un immense désordre : elle contient aussi les principes de l’ordre qui doit succéder à la tribulation générale. Il y a, dans la guerre, folie et sagesse, redoutablement mêlées. La folie de la guerre a été cause qu’André Bermance a commis une faute. Mais la sagesse de la guerre inspire à Mme Bermance la juste notion de ses devoirs nouveaux. Ce qui la décide à aimer Maria Ritzen, à la traiter comme sa fille et à traiter comme son petit-fils l’enfant du péché, c’est la bonté dont elle a l’usage et l’habitude ; c’est le vœu chrétien du rachat : tout ce qu’elle endure est une expiation librement consentie au profit de l’âme du mort. En outre, ce qui la convainc de bien agir, c’est le sentiment de la collectivité dans laquelle le malheur de la guerre plonge, et réunit nos individualités, et qui fait que nos chagrins, nos déplaisirs, nos préférences s’évanouissent parmi de plus larges espaces de pensée. Nous sommes dans une foule : et cette foule est la patrie. Ce petit enfant, ce n’est pas l’enfant du péché : c’est la résurrection de la chair et la résurrection de la France. D’un bout à l’autre du roman, jamais la mère d’André Bermance n’est à l’écart, dans l’égoïsme ou l’isolement, ni pour pleurer son fils quand des milliers de mères ont le leur à pleurer, ni pour comprendre, ni pour excuser, ni pour songer au difficile et impérieux avenir. Son âme s’est confondue avec l’âme d’une patrie : dès lors cesse l’incertitude. Et c’est la plus grande beauté de ce roman d’élargir de pauvres âmes jusqu’à l’ampleur de la France où elles ont leur vie et leur devoir.


ANDRE BEAUNIER.