Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Instruction du 25 août. L’équilibre matériel est rétabli par la création d’une nouvelle armée au centre, la 9e (Foch), qui s’intercalera entre la 4e armée (Langle de Cary) et la 5e (Lanrezac) et par la création, sur la Somme, de la 6e armée (général Maunoury) destinée à contrebalancer le poids des armées allemandes d’aile droite, à étayer l’armée anglaise et à chercher le débordement des armées allemandes par la gauche.

La manœuvre étant ainsi dessinée, une nouvelle rencontre doit avoir lieu approximativement sur une ligne Verdun-Saint-Quentin. Sur ce thème, le général en chef et l’État-major vont travailler avec cette pensée dominante que le recul ne s’arrêtera et que la bataille ne sera livrée qu’à l’heure où la soudure sera faite partout, où chacun sera en place, où l’unité morale sera rétablie et où l’ensemble sera parfaitement lié et mis au point[1].

Ici apparaît chez le général Joffre un certain genre d’initiative qui le montre véritablement créateur, et qui tient à cette tendance naturelle à l’équilibre qui le caractérise : il s’agit de l’art avec lequel il s’ingénie à transporter d’un point à un autre, selon les besoins de la manœuvre, des troupes répandues et parfois même engagées sur l’immensité du front. Seul un général maître de son échiquier et apte à se servir du réseau des voies ferrées pouvait recourir sans hésitation ni tâtonnements à cette méthode originale et hardie. En pleine retraite, alors que sa pensée semble devoir être retenue par d’autres préoccupations, le général joue avec ses corps d’armée, même avec ses armées ; il les pousse, selon les besoins apparus, dans tel ou tel secteur du front : en un mot, il tire ses réserves de ses corps combattants.

Ainsi, il peut sans inconvénient engager à la fois toutes ses troupes puisqu’il ne se subordonne pas à leur action, mais qu’il les subordonne à sa conception. Aussitôt qu’elles ont produit leur effet sur un point, il les enlève, les arrache au combat, les transporte rapidement où il l’a décidé ; et l’ennemi les retrouve devant lui sur un point très éloigné du lieu où elles combattaient la veille.

Nous connaissons, par les documents et les carnets de route, la surprise des officiers allemands quand, par exemple, ils

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1919.