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formulent et le résument, une de ces fontaines de vie qui alimentent trois ou quatre générations successives, et dont le flot est plus fort et le jet plus abondant à leur source qu’à leur embouchure.

La donnée de l’ouvrage est connue : la Johannes Tafel, la Sint Jans tafele, comme on l’appelait au temps de Durer, c’est-à-dire le tableau de la vision de saint Jean, reproduit un passage célèbre du quatrième chapitre de l’Apocalypse attribuée à col apôtre. Notons tout de suite en passant, comme l’a rappelé M. Louis Maerterlinck dans un très beau travail (j’y reviendrai tout à l’heure)[1] que saint Jean était à la fois le patron de la ville de Gaud, — Gandensium civium patronus, disent les vieux sceaux en leur latin, — et celui de l’église qui s’est appelée depuis la cathédrale Saint-Bavon. Il s’agit de saint Jean-Baptiste, mais on se plaisait au moyen âge à ne pas le séparer de son homonyme l’Evangéliste, surtout dans cet endroit où il était question de la vision de l’Agneau. La figure du Précurseur, dans son altitude classique, portant sur le bras l’Agneau divin enfermé dans une auréole pareille à une hostie, apparaît sur des sceaux du XIIe et du XIIIe siècle, conservés aux archives du Nord et dans nos Archives nationales. On l’y voit même, sur un sceau de 1275, entouré d’anges thuriféraires qui énoncent déjà comme le thème abrégé de l’Adoration de l’Agneau mystique. Saint Jean Baptiste est peint deux fois dans le retable de Gand, d’abord en grisaille à l’extérieur, à côté de Jean l’Évangéliste, comme des statues jumelles au porche d’une église, et en manière de dédicace ; ensuite à l’intérieur, à la gauche même de l’Eternel, sur le plan des figures célestes, et comme intercesseur immédiat de l’humanité auprès du Père. On se souvient que l’Agnus Dei chargeait l’écu et le pennon de Gand longtemps avant le lion de son blason moderne. Sous cette forme essentielle, il timbrait aussi les monnaies, ces fameux « moutons » de Flandres, puissante et batailleuse pecune, nerf de cette proverbiale patrie du drap et de la laine, des métiers et de la Toison d’or. Cette remarque si simple du savant directeur du musée des Beaux-Arts de Gand donne le mot d’un

  1. L. Maeterlinck, Hubert van Eyck et les peintres de son temps, in-8o, Vandenpoorten édit. Gand, 1920. — Cette brochure n’est que le résumé des conclusions d’un livre actuellement sous presse et qui doit paraître prochainement à Paris, chez l’éditeur Jean Schemitt.