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images parfaitement en harmonie avec la matière traditionnelle de son art. Quelle magnifique occasion ce serait pour nos poètes et nos dramaturges de ressusciter les belles histoires et les belles légendes de l’Afrique latine et grecque ! Les indigènes cultivés d’aujourd’hui pourraient s’associer avec nous pour cette glorification d’un passé, qui est le leur, qui ajoute au prestige de leur pays. Sophonisbe la Carthaginoise le disait à son sauvage amant, le cavalier numide : « Nous sommes tous deux Africains ! Moi aussi, comme toi, je suis née sur cette terre d’Afrique !… » Qu’on rende donc aux Africains, — à tous les Africains unis dans un même culte, — leurs héros et leurs légendes : Didon, Sophonisbe, Salammbô, Hannibal, Massinissa, Jugurtha, Félicité et Perpétue, Tertullien, Cyprien de Carthage, Augustin de Thagaste, — et les Dragons des Hespérides gardant les pommes d’or, et les enchantements de la fabuleuse Atlantide aux quais d’orichalque et de pierres précieuses ! ..

Le théâtre de Dougga est prêt pour ces grandes panégyries de tout un peuple renaissant.


* * *

Ces rêves d’avenir n’ajoutent rien à la beauté du spectacle qui s’offre à nous sur ces gradins déserts, devant cette scène vide, où s’inscrivent, entre des fûts de colonnes, de grands morceaux de paysage. Le spectacle est peut-être encore plus beau et plus suggestif sur les dalles du forum, parmi les sanctuaires à demi écroulés du Capitole.

Toute cette partie de la ville antique est encore mal désencombrée. La forteresse byzantine qui est venue s’étaler sur l’acropole de Thugga, qui étranglait entre ses murailles massives les temples, les échoppes et les portiques du forum, — et cela avec un beau mépris du plan primitif, en écrasant et en brisant tout autour d’elle, — cet affreux tas de pierres est toujours, en partie, debout. Rien n’excite la mauvaise humeur du passant comme la survivance de ces bâtisses parasites et misérables, qui symbolisent en quelque façon le rétrécissement de l’Empire arrivé à l’extrême période de sa décadence. C’est quelque chose d’étriqué, de compact, de ramassé sur soi-même en une attitude de défense manifestement craintive. L’Empire, à cette basse époque, a cessé de rayonner au dehors. Enfermé dans un cercle de plus en plus restreint, il ne songe qu’à