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fonds, des terrains, de l’atmosphère, tout cela fait de cette vieille rue romaine, contemporaine d’Apulée et de Tertullien, un des lieux les plus ardents et les plus signifiants de toute l’Afrique.

Le ciel est bleu, sans un nuage. Un milan plane au-dessus de cette dévastation, en poussant tout à coup un long cri rauque et déchirant. Puis le silence, l’immobilité paraissent plus profonds, plus immuables. Le spectacle, est d’une intensité extraordinaire.


* * *

Je suppose qu’on s’est assis sur l’un des petits murs aux trois quarts rasés qui s’entrecroisent autour des forums, non loin du temple capitolin, là où étaient sans doute les boutiques des marchands et des changeurs. On regarde l’ensemble architectural qu’on a sous les yeux.

C’est une succession de places dallées et environnées de portiques, dont le niveau est très inégal et qui communiquent les unes avec les autres par des degrés ou des escaliers monumentaux. A nos pieds, sur le pavement de la place où s’élevait le temple de Mercure, se reconnaît, gravée dans la pierre, la figure géométrique d’une rose des vents : cela servait, nous dit-on, pour la construction des villes. On déterminait ainsi avec précision l’orientation des rues, de façon à les abriter de la chaleur et des vents violents. Là-bas s’élevait la tribune aux harangues, — et les statues officielles sur leurs piédestaux et les promenoirs qui entouraient les forums. Plus loin, c’était le théâtre, les thermes, les gymnases, les marchés, les rues avec leurs fontaines et leurs conduites d’eaux. Plus loin encore, l’amphithéâtre, le cirque, les arcs de triomphe, les mausolées et les nécropoles. Tout, dans cette petite cité proconsulaire, était aménagé avec art et avec agrément. Elle était défendue, de la manière à la fois la plus pratique et la plus esthétique, contre le chaud et le froid, — et ses édiles ou ses architectes s’étaient ingéniés à capter pour elle, suivant les saisons, la fraîcheur ou le soleil, l’ombre ou la lumière…

A considérer ces ruines, on se dit que jamais l’organisation municipale n’a été poussée plus loin qu’à cette époque et dans ces pays latins. A Thysdrus, l’actuelle et Djem, qui se dessèche au fond d’une cuvette sablonneuse, à Thysdrus, — une inscription qu’on y a retrouvée nous le prouve, — chaque citoyen avait