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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/725

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subtil et perfide, savant et barbare, sera d’extraire des lois l’iniquité.

Les lois, nul ne les connaissait mieux que lui. D’origine modeste, — car il était le fils d’un fermier d’Arleux, aux limites de la Flandre et du Cambrésis, — il avait dû a la libéralité de l’abbaye d’Anchin le bénéfice de l’instruction. Nul n’avait mieux exploité le bienfait. Devenu avocat au Parlement de Douai, il y avait bien vite marqué sa place par la persévérance de son labeur, l’étendue de son érudition, et surtout sa mémoire qui était, disait-on, prodigieuse. Ainsi avait-il atteint la Révolution, en plébéien déjà sorti du rang, mais hanté par l’obsession d’un rang plus enviable ; homme capable du bien, capable du mal aussi, sans beaucoup de préférence, à la seule condition qu’il haussât sa fortune.

Au bailliage de Douai, les électeurs du Tiers-Etat l’avaient envoyé à l’Assemblée Constituante. Il y avait d’abord passé inaperçu. Il était, nous apprend l’un des contemporains, de taille médiocre, sec, maigre, sans grâce, de voix désagréable. Bientôt, par son savoir vraiment extraordinaire, il avait attiré l’attention. Il connaissait tous les édits, toutes les ordonnances avec leur date, leurs motifs, et les citait de mémoire, ainsi que les arrêts des Parlements. Dès ce moment, il commenta à prendre rang, mais sans qu’on sût bien encore ce qu’il était, profond jurisconsulte, homme d’Etat en germe, ou simple dictionnaire commode à consulter.


Une occasion vint qui acheva de le mettre en lumière. D’un brusque et fiévreux coup de cognée, les Constituants avaient abattu l’arbre de la féodalité. L’arbre abattu, beaucoup contemplèrent la grande ruine, avec un étonnement effrayé de ce qu’ils avaient osé. L’imposant débris gisait à terre sans qu’on sût bien comment en débarrasser le sol, ni surtout comment empêcher que par quelqu’une de ses branches il ne reprit racine. Merlin de Douai survint, qui savait du droit féodal tout ce qu’il fallait pour le conserver et bien mieux encore pour le détruire. A la manière d’un bûcheron, il débita l’arbre tombé ; en le coupant en menus tronçons, il empêcha qu’il revécût jamais ; et grâce à lui, sur la surface déblayée, un nouveau droit put naître qui n’eût à craindre aucun retour offensif du passé.

Inéligible à l’Assemblée législative, Merlin reparut à la Convention. Deux passions maîtresses conduisent les révolutions :