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expression. Maupassant s’y était déjà essayé deux fois avant de lui donner sa forme définitive : dans le « Vieux manuscrit » et dans une lettre restée inédite qui, sous le titre de Vieux objets, a été recueillie dans le volume posthume intitulé le Père Milon. Il ne me parait pas sans intérêt de rapprocher. les deux textes.


Vieux manuscrit.

Les objets qui nous entourent prennent dans toutes les circonstances de notre vie une signification particulière, car nous les voyons sous des aspects différents, suivant les vicissitudes du destin. Ils ont pour nous comme une existence propre, mêlée à la nôtre, exerçant une influence diverse sur notre fortune. Les uns font partie de notre bonheur, semblent toujours y aider et presque s’en réjouir ; et nous les contemplons familièrement, avec tendresse et un certain désir de les caresser doucement comme des amis dévoués et fidèles. D’autres, au contraire, quand nous succombons à l’adversité, se tournent, contre nous à la façon des traîtres et participent aux événements qui nous frappent ; la vue nous en devient pénible, réveille des souvenirs douloureux ; ils nous paraissent méchants et faux : nous n’avons plus confiance en eux…. (Inédit.)


Le Père Milon.

Alors je retrouve un tas de riens auxquels je ne pensais plus, et qui me rappellent un tas de choses. Ce ne sont point ces bons meubles amis que nous connaissons depuis l’enfance, et auxquels sont attachés des souvenirs d’événements, de joies et de tristesses, des dates de notre histoire ; qui ont pris, à force d’être mêlés à notre vie, une sorte de personnalité, une physionomie ; qui sont les compagnons de nos heures douces ou sombres, les seuls compagnons, hélas ! que nous sommes sûrs de ne pas perdre…

D’autres, quand on les revoit tout à coup, prennent une importance, une signification de témoins anciens. Ils me font l’effet de ces gens qu’on a connus indéfiniment sans qu’ils se soient jamais révélés, et qui, soudain, un soir, à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter tout leur être et toute leur intimité qu’on ne soupçonnait nullement…


Deux scènes d’Une Vie, d’une tout autre importance, ont été empruntées par Guy~ de Maupassant à deux contes