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un moment à l’exemple de son maître, le paysagiste Cabat.

Dans un beau portrait qu’il a tracé plus tard du grand écrivain et peintre orientaliste, M. Louis Gonse écrit, de Fromentin, que sa physionomie avait pris avec le temps « un caractère très remarquable » et paraissait animée d’un regard scintillant et comme intérieur. « Quelque chose du cuit et de l’émacié des races du désert » semblait, dit-il, avoir donné à son visage un peu du durcissement monastique. Ce durcissement des traits, du visage assez anguleux et tel que nous pourrons le contempler dans le buste par Ternois exposé au musée de la Rochelle, ne se manifestera que par la suite, avec les années. « Une nature exquise, à en juger par son triste et souffrant visage, » voilà comment, dans les Maîtres d’autrefois, Fromentin, de son côté, décrit Potter jeune homme, ce Paul Potter au talent simple et robuste auquel il rendit si bien justice dans son livre. Appliquée à lui-même, cette image, par plus d’un détail, pourrait convenir plus qu’on ne suppose à Fromentin. Sa nature, comme celle de Potier, était vraiment exquise et « le vif penchant pour la vie champêtre » qu’il souligne chez le peintre rustique, était encore un rapport par lequel se ressemblent deux artistes si considérables ; toutefois, le « triste et souffrant visage » n’apparaît pas plus ici encore, sous les traits du garçonnet qui grandit dans le recueillement grave et concentré de cette grande demeure que dans ceux de l’adolescent qui devait vivre, à peu d’années de là, sous les tilleuls ombreux de Saint-Maurice, de si poignantes heures de détresse, de travail opiniâtre et de résignation.

Pour venir à Saint-Maurice, nous eussions préféré, à tout l’épanouissement de l’été, l’un de ces après-midi de septembre qui succédaient jadis, dans cette contrée de vignobles, à l’époque des vendanges. Alors M. Dominique, le fusil sur l’épaule, précédé de ses chiens, s’en allait tantôt seul, tantôt avec le vieil André, du côté de la mer, le long des marais, chasser la bécasse et la perdrix. L’une de ces tièdes et discrètes journées d’automne, d’une si douce coloration, comme il en est tant dans cette contrée, donnait à ce moment tout son prix au paysage, et c’était pour Dominique déjà vieilli, revenu de bien des regrets et marqué par bien des souffrances, un plaisir supérieur de contempler une fois de plus ce « grand pays plat, » « nullement boisé, à peine onduleux, » dont il a parlé avec tant d’amour, et