Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fils, se retirer à la campagne dans la région de Nohant. Les terres de sa famille ont été lourdement hypothéquées par un mari dissipateur : elle vient en disputer les débris aux créanciers de ce peu regrettable époux, afin de sauvegarder tant bien que mal les intérêts de son enfant, et elle y fait presque aussitôt la connaissance du meunier d’Angibault, le grand Louis, qui s’offre à l’aider dans sa tâche ardue. — Mme de Blanchemont a aimé naguère un socialiste du nom de Lémor qui lui a prêché les doctrines de Pierre Leroux : elle se félicite donc de sa ruine, car elle a longtemps déploré pour son enfant, ce nouvel Emile, le malheur d’être né riche : « A présent, Louis, je serai du peuple, dit-elle avec élan à son nouveau protecteur, et les hommes comme vous ne médiront plus de moi ! — Vous ne serez pas du peuple, lui répond le beau meunier avec un parfait bon sens. Votre fils a des parents riches qui ne le laisseront pas élever comme un pauvre. Tout cela, c’est des romans que vous vous faites ! » Et Sand a toujours montré de ces clairvoyances intermittentes à travers ses tenaces illusions mystiques.

S’il voit souvent juste en matière psychologique et sociale, le grand Louis n’en est pas moins bon « communiste, » en ce sens qu’il voudrait assurer le sort des faibles, des bornés et même des paresseux ! Mais il conçoit que des étapes sont nécessaires pour aboutir à ce résultat, et Marcelle corrigera donc jusqu’à un certain point, sous son influence, l’excès de générosité que nous venons de constater en elle : elle raisonnera désormais sur l’éducation et sur l’avenir de sa progéniture à peu près comme la châtelaine de Nohant en personne, c’est-à-dire comme tous les représentants de la classe bourgeoise à cette date. Elle s’arrêtera, dans la pratique, à des solutions moyennes et provisoires, à celles-là même que Sand acceptait alors pour règles de son existence, car elle ne voit, dit-elle, aucun des systèmes politiques nouveaux où l’ambition de dominer ne montre par quelque endroit le bout de l’oreille (oh combien ! ) et où la liberté morale lui semble suffisamment respectée. Saint-simonisme et fouriérisme sont à ses yeux des philosophies avortées où l’esprit du mal semble se cacher sous les dehors de la philosophie. — Et ceci est sans doute une allusion à la très suspecte « réhabilitation de la chair. » — En un mot, elle se sent repoussée loin de ces doctrines comme par le pressentiment d’un nouveau piège tendu à la simplicité des hommes !