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barricade, parmi les insurgés de 1848 ; le drame de cette victime de l’honneur militaire, instrument borné et fanatique d’une œuvre de conquête et d’unification qui ne sera consommée que vingt ans après sa mort sur le champ de bataille de Spickeren, par le sacrifice sanglant de son petit-fils, — ce tableau des générations qui se sont succédé de 1830 au lendemain de 1871, est un des plus beaux témoignages que nous ayons sur le prix que l’Allemagne a payé la grandeur de son unité nationale. Nulle part le contraste entre le génie rhénan et celui de la Prusse n’a été exprimé de façon, plus saisissante. Ce livre, qui devrait être aujourd’hui dans toutes les mains françaises, place son auteur au premier rang des romanciers contemporains.

Aussi un roman sur la guerre par l’auteur de la Garde au Rhin ne pouvait-il manquer d’exciter le plus vif intérêt. On savait à l’avance que ce serait une œuvre de haute tenue littéraire et d’une tout autre espèce que les productions courantes de la littérature chauvine en Allemagne. Par malheur, il se trouve qu’aucun ouvrage de Mme Viebig ne s’éloigne davantage de nos habitudes françaises et de nos procédés de composition. Aucun ne diffère plus de notre art que les deux volumes de ce « roman contemporain » où l’auteur a noté, comme dans un journal, les phases successives de l’agonie de son pays. C’est le type achevé de ces livres qui se passent de centre et même de héros, où l’action est nulle, où les histoires s’enchevêtrent et se succèdent l’une à l’autre sans plan déterminé d’avance, en un mot de ces « chroniques » où l’intrigue ne compte pas, où les personnages restent passifs et se bornent à subir les caprices d’une destinée dont ils ne sont pas les auteurs. Non qu’il n’y ait un certain « art » dans la manière dont l’auteur entrelace ses sujets et groupe ses différents « motifs, » et qu’on ne puisse signaler des effets de symétrie et de parallélisme, d’opposition et de contraste, qui impriment au récit un rythme spécial. Mais, pour définir la nature de cette « chronique » et ce qui la distingue d’une œuvre construite à la française, il suffira de dire que le premier volume a été publié en 1917, alors qu’il était impossible à l’auteur de savoir ce que l’avenir réservait a ses personnages et quel serait le dénouement. C’est l’art de la tapisserie, — songez si vous voulez à la tapisserie de Bayeux, — comparé à l’ordonnance d’un tableau. Peut-être à cette absence d’intrigue et d’artifice reconnaitra-t-on le programme de l’école,