un fait, pourtant, qui explique bien des choses. Le premier citoyen français qui ait reçu, dès sa naissance, l’éducation ambiante du suffrage universel, qui n’ait pas connu un autre régime et qui ait eu pleine conscience de son vote, n’atteindra la maturité qu’aux alentours de l’année 1880. Et c’est pourquoi Gambetta en était encore à dire, en septembre 1872, quand il prononçait son discours de Grenoble : « Je pressens, je sens, j’annonce la venue, etc.. »
Ces votants « de plein exercice, » si j’ose dire, vont-ils donc s’emparer de la « machine ? » Par le suffrage et pendant le temps du vote, oui ; mais, comme l’a parfaitement expliqué Jean-Jacques, à peine le vote est-il rendu, que l’autorité leur échappe. Il reste toutes les survivances des « machines » antérieures : parlementaires, administrateurs, hommes de lois, publicistes, écrivains, industriels, membres des comités, des loges, des groupes, tous puissamment munis et secondés pour s’interposer entre le suffrage et le pouvoir, pour se servir de celui-là et s’emparer de celui-ci.
Et c’est précisément une nouvelle organisation de la « machine » par l’avènement des masses que prévoit Gambetta. Ce politique, ce spécialiste de l’architecture sociale introduit ces hommes qu’il qualifie expressément « un nouveau personnel du suffrage universel, » et dont il fait un éloge parfaitement réfléchi, quand il dit que ce personnel représente non plus « un sentimentalisme vague, » mais quelque chose de « positif » et de « pratique ; » il n’hésite pas même à leur appliquer le qualificatif, cher à son temps, de « scientifique. »
En fait, Gambetta est à la fois l’introducteur et l’ambassadeur de ce personnel qui n’est ni le corps des « privilégiés, » ni le grand bourgeois, ni même exclusivement le bourgeois ; c’est, si l’on veut, le bourgeois des petites villes, des bourgades, des, villages, tout ce qui sort immédiatement de la classe populaire, et qui n’est séparé du peuple proprement dit que par une ou deux générations, — personnel auquel le fils de l’épicier de Cahors appartient, — personnel plein de jeunesse, d’ardeur et d’élan, et qui, pourtant, à l’heure où il s’avance pour mettre la main au timon, est en droit de se retourner vers le peuple et de lui dire : « Je suis vôtre. »
Car ces « nouvelles couches » ne sont, en somme, que le peuple tendant à s’élever lui-même. Elles reposent tout au fond