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occupé de Mlle de Surgères. Catherine de Médicis l’avait engagé, dit M. de Nolhac dans la jolie étude qu’il a consacrée au Dernier amour de Ronsard, — et les conseils de la reine étaient un commandement, — à choisir pour maîtresse et pur objet de ses poétiques ferveurs « la plus sage et en même temps la plus spirituelle de ses filles d’honneur, » Hélène, que Brantôme appelle la docte de la cour. Et Ronsard a chanté Mlle de Surgères ; il l’a célébrée, avant de l’aimer. Il l’a aimée ensuite. Avant qu’il ne l’aimât tout de bon, la renommée de cette jeune fille florit par les tendres poèmes de Ronsard.

Il est possible que Ronsard ait célébré la dame d’Estrées comme d’abord Hélène de Surgères. Et ce que dit Claude Binet, que Ronsard a chanté plus d’une belle en ses poèmes « sur le commandement des Grands, » peut-être faut-il l’interpréter selon ce que nous savons qu’il a fait, pour Hélène de Surgères, sur le conseil de la reine. Les dames étaient jalouses de la gloire que cette jeune fille devait aux poèmes de Ronsard. Il est possible que M. du Gua, si amoureux de la dame d’Estrées, si désireux de lui complaire, ait prié le poète de la chanter comme il chantait Mlle de Surgères. Mais il ne le priait pas pour cela de feindre que ce fût M. du Gua l’auteur de ces poèmes et M. du Gua non plus qui, dans ces poèmes, prît la parole. Voilà comment la dame d’Estrées, l’amante de M. du Gua, serait devenue l’Astrée de Ronsard.

L’escadron volant des filles d’honneur de la reine et les dames de la cour enseignaient aux rudes cavaliers de ce temps la politesse, la courtoisie, l’art de l’honnête amour, l’art de réduire à quelque discipline ou à quelque douceur le dangereux amour. Catherine de Médicis le savait à merveille et le voulait.

Semblablement, si l’on remarque le contraste qu’il y a, et qui est vif, entre la poésie exquise des Sonnets et Madrigals et la sauvagerie que révèle, dans les mœurs d’alors, l’histoire de Françoise Babou de la Bourdaisière dame d’Estrées, l’on devine que la poésie de Ronsard, comme toute notre littérature au cours de notre histoire, accomplissait une belle besogne, et difficile : elle donnait à rechercher un idéal de vie moins farouche et tâchait de civiliser les terribles cœurs des hommes et des femmes.


ANDRE BEAUNIER.