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toujours subjective, mais il y a pour juger d’une œuvre d’art, un critère supérieur, complexe, mais sûr : la Nature. L’art et la critique ont été désorbitées du jour où ils ont abandonné cette vérité si simple : les arts plastiques sont des arts d’imitation. Ils sont autre chose que cela, mais ils sont cela, d’abord. Il y a, pour suggérer des idées, les écritures, les hiéroglyphes, les signes conventionnels. L’Art ne suggère pas : il imite et ses procédés sont, quoi qu’on en dise, si peu conventionnels, que les peuples les plus divers n’ont nullement besoin de parler la même langue, ni d’être initiés aux mêmes signes pour reconnaître, tracés sur un mur, les formes d’un homme ou d’un animal. Une convention, qui est à ce degré universelle et que l’enfant s’assimile en ouvrant les yeux, n’est plus une convention : c’est une adaptation à un besoin physiologique. Seuls, les esthéticiens, rencognés dans leurs systèmes loin de toute expérimentation directe, peuvent l’avoir oublié.

Les maitres, eux, n’y ont pas mis tant de malice. Infiniment plus subtils que les philosophes dans leurs perceptions, ils ont eu des conceptions toutes simples. Ils ont prétendu non pas du tout s’exprimer, comme les pédants veulent nous le faire croire, mais exprimer la nature. Leur œuvre a toujours été, dans leur pensée, non pas une interprétation, mais une représentation. Tous leurs témoignages, toutes leurs disputes, toutes les anecdotes, depuis les oiseaux de Zeuxis et de Parrhasios, jusqu’à la rondache de Léonard, le prouvent. Attraper la ressemblance, donner l’illusion de la réalité, « contrefaire la nature, » tel a été, aux époques vivantes et ascendantes de l’Art, le seul but. Et, lorsqu’il s’est agi de sentiments, de passions, ils n’ont jamais prétendu exprimer les leurs, mais bien en reproduire les apparences matérialisées sur les figures qu’ils voyaient, c’est-à-dire quelque chose encore de nettement objectif.

Qu’ils y aient mis aussi du leur, qu’ils n’aient pas pu s’abstraire de leur œuvre, jusqu’à en faire une projection directe de la réalité sur leur panneau, ou leur mur, que leur tempérament soit intervenu pour leur faire sentir dans la nature plutôt tel caractère que tel autre, et par conséquent varier à l’infini ses prestiges, c’est vrai et très évident. Mais tout ceci s’est passé hors de leur volonté et presque à leur insu. Leur méthode et leur but ont été tout autres. Représenter les choses telles qu’on les voit — c’est-à-dire telles que tout le monde les