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suivant : une famille riche d’Augsbourg l’invite à dîner : ils sont ses admirateurs, dîner magnifique coûtant plus de cent écus : au dessert, on parle de son dernier roman. « Nous n’avons pu l’avoir encore à la bibliothèque de prêt, il est en mains. — Il serait plus court de l’acheter. — Oh ! nous n’achetons pas de livres ! » Il n’y a que les savants, les professeurs qui achètent les livres savants, les dissertations ; et souvent ils ne paient pas. M. Brockhaus parle avec amertume de cette parcimonie du public allemand à l’égard des livres. — Il est allé deux fois en France, une fois avec sa femme pour son voyage de noces. Il admet que les Allemands lisent surtout les livres français crus ou lestes. Fanny, Madame Bovary, et que ce qu’ils aiment le mieux voir, ce sont les pièces françaises des petits théâtres, la Vie parisienne, la Belle Hélène. Selon lui, Berlin et Vienne, grandes capitales dissolues, donnent l’exemple…

Ce soir, au théâtre, où l’on joue Coriolan, traduit de Shakspeare. Il ne reste que quelques places, très chères ; je prends une des plus chères, au balcon, c’est 3 fr. 75. À l’intérieur, large couloir aéré, bien tenu, les femmes sont en gants frais et toilettes agréables. — Coriolan a le physique de l’emploi, et imite fort bien les attitudes des statues d’Achille ; il a de la passion, mais ne vaut pas Mulready. Menenius n’est pas mauvais ; Volumnia est solennelle, emphatique, et sent l’école de déclamation. Quinze figurants pour le peuple, autant pour l’armée, une douzaine pour le Sénat. Costumes et armures bien médiocres, décors de second ordre. On a coupé presque toutes les scènes du premier acte, les combats de Coriolan contre les Volsques. Du reste, Shakspeare au théâtre me semble impossible aujourd’hui ; la mécanique, les changements de scènes du XVIe siècle sont trop grossiers. Je suis parti après la scène où il va en exil ; je bâillais. Public froid ; il y a eu un sourire seulement au moment où Coriolan appelle les tribuns « gueules de roquets hurlants. » Applaudissements maigres ; personne n’était saisi, empoigné, et la salle était pleine. Ils vont peut-être là comme moi aujourd’hui, par conscience.


5 juillet.

Ce matin, leçon de M. Eberl. Cinq élèves ; mais il en a ordinairement une vingtaine, et il me l’a dit : peut-être y a-t-il là un petit mouvement d’amour-propre. — La leçon s’appelle