— On peut mettre des étiquettes sur les choses, pas sur les personnes.
— Peut-être. Sans doute je simplifie trop : mais vous m’avertirez quand je me tromperai. — Elle se tourna vers lui. — Il n’y a que deux personnes ici qui puissent me renseigner : vous et Mr Beaufort.
Archer fut un peu saisi d’entendre accoler son nom à celui de Beaufort. Mais il songea à l’atmosphère malsaine où Ellen avait vécu ; il pensa qu’il devait profiter de la confiance qu’elle lui témoignait pour lui montrer Beaufort et tout ce qu’il représentait sous son jour véritable, et lui en inspirer le dégoût.
Il répondit doucement :
— Je comprends : mais tout d’abord, gardez l’appui de vos vieux amis, des femmes comme votre grand’mère Mingott, Mrs Welland, Mrs van der Luyden. Elles vous aiment, vous admirent, désirent vous aider.
Elle hocha la tête et soupira :
— Oh ! je sais, je sais. Elles veulent m’aider, mais à la condition de ne rien entendre qui leur déplaise. Ma tante Welland me l’a dit en propres termes. On ne désire donc pas savoir la vérité ici ? La solitude, c’est de vivre parmi tous ces gens aimables qui ne vous demandent que de dissimuler vos pensées.
Elle cacha sa figure dans ses mains et Archer vit ses minces épaules secouées par un sanglot.
— Madame Olenska ! Je vous en prie… Ellen, supplia-t-il, en se levant et se penchant sur elle.
Il prit une de ses mains, la serra, la caressa comme celle d’un enfant, pendant qu’il murmurait des mots de réconfort. Mais elle se libéra, et leva sur lui des yeux encore pleins de larmes.
— Ici, on ne pleure pas ; au Paradis, il n’y a pas de raison de pleurer, dit-elle, en rajustant ses tresses, et se penchant, déjà souriante, au dessus de la bouilloire.
Archer se disait en tremblant que deux fois il l’avait appelée « Ellen » et qu’elle ne l’avait pas remarqué. Bien loin, comme par le petit bout de la lorgnette, il aperçut la blanche image, estompée, de May Welland, à New-York.
Tout à coup, Nastasia passa la tête, dit quelques mots à voix basse. Mme Olenska, la main encore dans ses cheveux, poussa une exclamation, un vif « già ! già ! » et le duc de St-Austrey