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un rapport entre les deux tableaux ? Ou plutôt le second n’est qu’un tableau, tandis que la première peinture nous prépare à toute la suite de sentiments qui feront l’ornement et la gloire du livre. L’observation est la même pour la chute de cheval : dans le roman, Mme de Clèves, voyant Nemours tomber de cheval dans un tournoi, pour avoir voulu éviter de blesser le Roi, en éprouve un tel éblouissement qu’elle ne peut entièrement garder le secret de sa passion ; dans Brantôme, la duchesse de Guise pâlit pour avoir vu tomber son fils Henri.

Je crains fort que Mlle Poizal n’eût point convaincu de cette identité, ni même de cette ressemblance entre la duchesse de Guise et la princesse de Clèves, les historiens des Guise et de Nemours, le baron de Ruble, Hector de la Ferrière, non plus qu’elle n’a réussi à convaincre l’historien de Catherine de Médicis, M. Baguenault de Puchesse. Il n’y a, pour vérifier ou pour infirmer sa thèse, qu’une méthode à suivre : elle est fort simple et fort sûre, et c’est de prendre tour à tour les trois personnages du roman de Mme La Fayette, le prince de Clèves, la princesse, et le duc de Nemours, le mari, la femme et l’autre, et de les comparer aux trois personnages historiques qui leur auraient servi de modèles, François de Lorraine, duc de Guise, Anne d’Este, tour à tour duchesse de Guise et duchesse de Nemours, et Jacques de Nemours-Savoie. Nous saurons alors si l’histoire qui croit fixer les réalités rend plus vraisemblable le roman appuyé sur la vie mouvante, et si le roman, quand il emprunte à l’histoire ses personnages, leur sait maintenir leur humanité ou leur substitue d’autres caractères.

Dans ses Réflexions sur le roman historique écrites en commentaire de l’Infante, le beau roman de M. Louis Bertrand, après avoir cité ce mot de la correspondance de Balzac : « On commence à reconnaître que je suis beaucoup plus un historien qu’un romancier, » M. Paul Bourget démontre que, pas plus que le roman de mœurs, le roman d’analyse ne peut se dégager du temps et de ses influences, et que l’un et l’autre sont contraints à situer leurs personnages dans un moment caractérisé. Il cite l’exemple de Volupté, de la Confession d’un enfant du siècle, et il cite encore la Princesse de Clèves : Mme de La Fayette, pour peindre une sorte de passion, avait dû choisir une époque où le développement de cette passion fût pour ainsi dire normal. Et de ces exemples il dégage cette loi de technique littéraire :