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qu’ailleurs ! » Mais il répondit, d’un ton qui résonna à ses oreilles comme la voix de Mr Letterblair :

— La société de New-York est un monde bien petit auprès de celui où vous avez vécu… et il est mené, ce petit monde, par quelques personnes qui ont… des idées un peu arriérées… Nos idées sur le mariage et le divorce tout particulièrement… Notre législation favorise le divorce… nos habitudes sociales ne l’admettent pas.

— En aucun cas ?

— Elles ne l’admettent pas, si une femme, même calomniée, même irréprochable, a la moindre apparence contre elle, si elle s’est exposée à la critique en prenant une attitude qui ne rentre pas dans les conventions habituelles, si sa conduite prête à des insinuations…

La comtesse Olenska baissait la tête : Archer attendit, espérant un éclair d’indignation, tout au moins une brève parole de dénégation… Rien ne vint. Une petite pendule de voyage ronronnait ; une bûche se brisa, faisant jaillir une gerbe d’étincelles ; toute la chambre, calme et immobile, semblait attendre en silence avec Archer.

— Oui, murmura-t-elle enfin, c’est ce que ma famille me dit.

— Il tressaillit légèrement. — « Notre » famille, corrigea-t-elle, et Archer rougit. — Car vous serez bientôt mon cousin.

— Je l’espère.

— Et vous partagez leur point de vue ?

Archer se leva, marcha dans la chambre, fixa un regard vague sur les tableaux accrochés sur le vieux damas rouge, et revint près d’elle d’un pas indécis. Comment pouvait-il dire : « Oui… Si ce que votre mari avance est vrai ou si vous n’avez pas un moyen de le réfuter. »

— Vous le partagez ? insista-t-elle, comme il hésitait encore.

Il regarda le feu : — Franchement, que gagneriez-vous qui pût compenser la possibilité, la certitude d’être mal vue de tout le monde ?

— Mais… ma liberté : n’est-ce rien ?

Au même instant, une pensée traversa l’esprit d’Archer comme un jet de lumière. L’accusation de la lettre était-elle fondée, Ellen espérait-elle épouser le complice de sa faute ? Comment lui dire, si elle caressait ce projet, que les lois de l’État