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— Je m’en allais pour emporter le souvenir de cette scène, dit-il.

À sa grande surprise, il vit pâlir la jeune femme. Elle porta les yeux sur la jumelle de nacre que tenaient ses mains finement gantées, et dit après un silence :

— Que faites-vous pendant l’absence de May ?

— Je m’absorbe dans mon travail, répondit-il, un peu froissé de la question.

Selon une habitude prise depuis longtemps, les Welland étaient partis la semaine précédente pour Saint-Augustin, dans la Floride, où ils passaient la fin d’hiver. Mr Welland était convaincu qu’il avait les bronches délicates. C’était un homme de nature douce et silencieuse : il n’avait pas d’opinions personnelles, mais, en revanche, il avait des habitudes. Nul ne devait y contrevenir : sa femme et sa fille étaient donc obligées de l’accompagner dans le midi. Il fallait que partout où il allait, il retrouvât son milieu habituel : sans Mrs Welland, il n’aurait su ni trouver ses brosses ni se procurer des timbres.

Tous les membres de cette famille s’adoraient entre eux. Jamais Mrs Welland ni sa fille n’auraient admis l’idée que Mr Welland pût aller seul à Saint-Augustin, et les fils, ne pouvant à cause de leurs occupations s’absenter pendant l’hiver, allaient le rejoindre à Pâques pour revenir avec lui.

Archer ne pouvait discuter la nécessité où May se trouvait d’accompagner son père. Le médecin de famille des Mingott avait attaché sa réputation à une pneumonie que Mr Welland n’avait jamais eue, et il exigeait le séjour à Saint-Augustin. Les fiançailles de May n’avaient dû être annoncées qu’après le retour de la Floride et le fait qu’on avait été amené à les annoncer plus tôt ne changeait en rien les plans de Mr Welland. Archer aurait aimé se joindre aux voyageurs, vivre pour quelques semaines au soleil, canoter et se promener avec sa fiancée ; mais lui aussi était tenu par les usages et les conventions. Ses devoirs professionnels n’étaient guère accablants, mais tout le clan Mingott se fût étonné, s’il avait demandé un congé au milieu de l’hiver ; et il avait accepté le départ de May avec la résignation qui allait certainement devenir un des principaux éléments de sa vie d’homme marié.

Il sentait que, sous ses paupières baissées, Mme  Olenska le regardait.