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dut pas satisfaire Tisza : il pria le comte Berchtold, qui partait pour Ischl, en Tyrol, rejoindre l’Empereur, de remettre à Sa Majesté une lettre où il lui exposerait son sentiment sur la situation.

Le soir même, il rentrait à Budapest, et le lendemain, 8 juillet, il recevait un télégramme, que Berchtold lui envoyait pour influencer son esprit, et par lequel il lui faisait connaître que M. de Tschirschky, ambassadeur d’Allemagne à Vienne, lui avait fait savoir qu’on s’attendait, à Berlin, à une action décisive de l’Autriche-Hongrie contre les Serbes ; qu’on ne saurait concevoir en Allemagne que le cabinet de Vienne laissât échapper l’occasion ; que l’empereur Guillaume avait écrit personnellement au roi Carol, pour engager la Roumanie à demeurer neutre dans le conflit ; et que si Vienne n’agissait pas, tout le monde verrait là, en Allemagne, une preuve regrettable de faiblesse.

Ce télégramme ne changea rien aux idées du comte Tisza. Sitôt après l’avoir reçu, il écrivit à l’Empereur la lettre qu’il avait annoncée. Il y examinait d’abord les diverses éventualités qui pouvaient se produire pour amener dans les Balkans une situation nouvelle, défavorable à la Serbie et avantageuse pour l’Autriche ; puis il continuait comme il suit :


Si après avoir étudié la situation politique, je pense au bouleversement économique et financier, aux douleurs et aux sacrifices qu’amènera infailliblement la guerre, je ne puis supporter, après la réflexion la plus péniblement consciencieuse, l’idée d’avoir ma part de responsabilité dans l’attaque militaire proposée contre la Serbie. Loin de moi l’intention de recommander une politique sans énergie à l’égard de nos voisins. Nous ne pouvons demeurer les spectateurs inertes de l’agitation que l’on poursuit à Belgrade, et qui aboutit à exciter nos propres sujets contre nous et à fomenter des crimes. Non seulement la presse serbe et les journaux officiels, mais encore les représentants de la Serbie à l’étranger, montrent à notre égard tant de haine et manquent tellement aux usages de la courtoisie internationale, que notre prestige d’une part, et notre sécurité, de l’autre, exigent impérieusement que nous prenions une attitude énergique envers la Serbie. Certes, je ne suis pas pour encaisser sans mot dire toutes les provocations, et je suis prêt à accepter la responsabilité d’une guerre qui résulterait du refus de nos justes exigences. Mais nous devons laisser à la Serbie la possibilité d’éviter un conflit au prix d’une lourde humiliation. Il faut que nous puissions prouver à l’univers que si nous avons pris le parti de la guerre, nous étions en