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Dès les premiers mois de la guerre, la Hongrie fut en péril. Après leurs succès de Galicie, les Russes en masses considérables tentèrent de forcer les Carpathes. Alors commença dans ce chaos de glace, de rochers et de forêts, une lutte tout à fait atroce contre les éléments et les hommes, et aussi contre ce fléau de Dieu que nous n’avons pas connu, cette mort partout répandue, foudroyante et ignoble, apportée par le typhus. Successivement on envoya sur ce front toutes les troupes de la Triplice ; mais elles s’y épuisaient vite : il fallait les ramener dans des secteurs moins durs. Seuls les Hongrois tenaient inflexiblement là-haut. Et il faut reconnaître que c’est leur endurance qui a barré la route aux Russes, et tourné pour longtemps les chances de la guerre à l’avantage de l’Allemagne.

Dans ces moments tragiques, Tisza fut l’homme qu’on pouvait imaginer. L’énergie qu’il déploya ne put que fortifier l’idée que cette guerre, qu’il soutenait avec sa fermeté habituelle, il en était le premier responsable. Des personnes de son entourage qui le voyaient alors tous les jours, m’ont raconté que jamais il ne communiqua rien des sentiments qui s’agitaient dans son âme ; mais son humeur sombre, les rides accusées de son visage révélaient à ses familiers un profond tourment intérieur. Même aux heures où les événements prenaient une tournure favorable et paraissaient présager le succès, on ne le sentait guère allégé. Pourtant il conservait toujours, au milieu des difficultés qui allaient sans cesse grandissant, sa force de travail peu commune, sa volonté opiniâtre, et cette activité qui avait l’œil a tout et ne ménageait personne, pas même le haut commandement.

Peu à peu on apprendra d’une façon plus précise quelles ont été les relations du comte Tisza avec l’Allemagne, durant ces terribles années, mais dès maintenant en entrevoit qu’elles n’ont pas été sans orages. Par exemple, en 1915, au moment où l’Allemagne s’efforçait d’empêcher la Roumanie de se déclarer pour les Alliés, le Kaiser suggéra à Budapest l’idée d’abandonner aux Roumains une partie de la Transylvanie. Tisza répondit que la Hongrie se battait pour l’intégrité de son territoire, et que s’il fallait consentir des sacrifices pour amener la paix, c’était à l’Allemagne de les faire.

En janvier 1917, il se rendit à Berlin pour combattre l’idée