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découvrit ainsi Gibbon, Robertson et Hume. Ce dernier surtout, et son History of England, l’enthousiasmèrent : « Je fus frappé d’une idée qui me parut un trait de lumière et je m’écriai : « Tout cela date d’une conquête ; il y a une conquête là-dessous. » Sur le champ, il conçut le projet de tracer à ce nouveau point de vue le tableau des Révolutions d’Angleterre. La première partie de cette esquisse, son début en histoire, parut bientôt dans le tome IV du Censeur européen.

Pour bien comprendre et apprécier les intentions de l’écrivain, il faut se reporter par la pensée aux événements qui se déroulent alors en France, aux luttes politiques dont la Chambre est le théâtre quotidien. À cette lumière des faits, le parallélisme d’allusions apparaît manifeste. Sous prétexte d’Angleterre, rien ne manque à ce transparent rappel, ni 1789, ni l’établissement de l’Empire, ni le retour des Bourbons : l’auteur laissait seulement au lecteur à deviner la conclusion obligatoire qui devait être la Révolution de 1688.

Augustin Thierry allait encore dépasser ces audaces et son heureuse témérité devait le mener à découvrir les origines de l’histoire moderne. Sous le couvert du passé, son intention persistait d’exprimer des vérités actuelles. A l’exécution, ce dessein limité devait singulièrement s’élargir et le conduire au système historique dont l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands sera la première vérification expérimentale, et la seconde, l’Essai sur la formation du Tiers-État. Afin de le mieux remplir, le chercheur s’enfonça dans une suite de lectures sur la constitution de l’ancienne monarchie et sur les institutions du moyen âge, dépouillant les jurisconsultes, les feudistes, les commentateurs du droit coutumier. De proche en proche, cet examen l’amena, jusqu’au Glossaire de Du Cange, en pleine érudition philologique.

En même temps, confrontant les textes originaux avec la mise en œuvre des écrivains modernes, il put constater que nul d’entre eux n’avait compris les temps qu’ils prétendaient à retracer. La superposition des races sur un même sol avait échappé à la plupart et tous, de parti pris, avaient travesti les faits, dénaturé les caractères. Dès lors, avant Sismondi, avant Guizot, Augustin Thierry voulut, suivant son expression, planter pour la France du XIXe siècle le drapeau de la réforme historique : « Guerre aux écrivains sans érudition qui n’ont pas su