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l’incontestable témoignage Toutes les feuilles libérales, les grands recueils littéraires, la Revue Britannique en tête, lui consacrèrent des articles d’admiration. « M. Thierry, écrivait Sismondi, a réussi à nous révéler des passions, des espérances, des souffrances, un enchaînement de causes et d’effets que personne n’avait jamais soupçonnés avant lui[1]. » L’historien, d’emblée, conquit la grande gloire. Il prit rang parmi ces « maréchaux de lettres » pour lesquels Balzac revendiquera la primauté dans le pays.

Augustin Thierry savourait l’ivresse de ce grand triomphe quand un malheur épouvantable vint s’abattre sur lui. Un jour, au courant d’une longue et fatigante correction d’épreuves, il s’aperçut qu’il venait de perdre la vision de l’œil gauche. Usée par une surexcitation physique et morale perpétuelle, par un excès de travail de cinq ans, sa vue allait s’éteindre à jamais.

Depuis 1822, sa santé, toujours délicate, s’était gravement altérée. La maladie avait insidieusement débuté par des crises de gastralgie, des troubles du rein, une diminution de la sensibilité cutanée, bientôt aggravée d’embarras fonctionnel des membres. Il lui devenait malaisé de boutonner ses habits ; la marche se faisait irrégulière et saccadée. Duchenne de Boulogne et Trousseau n’avaient pas encore étudié l’ataxie locomotrice progressive, déterminé ses prodromes et son évolution. Les médecins consultés, Esparon, Louis, Lerminier diagnostiquèrent cependant une altération des centres nerveux, prescrivirent des applications répétées de ventouses sur la colonne vertébrale. Surtout, ils ordonnèrent le repos immédiat, la cessation absolue de tout labeur intellectuel. Augustin Thierry était en pleine composition de la Conquête ; il subit les remèdes, mais dédaigna les avertissements. L’implacable affection, dès lors, précipita ses ravages. En 1823, apparaît le « signe d’Argyll-Robertson, » l’abolition des réflexes pupillaires, accompagné de phénomènes prononcés d’amaurose. Au mois de juin, le malade se trouvait pour quelques jours à Blois : — « C’est étonnant, dit-il, s’arrêtant devant le jardin de l’Evêché, voilà les acacias dont j’ai bien souvent admiré les grappes blanches… à présent elles sont roses.. »

  1. Revue Britannique, octobre 1825.